Dans les pays en développement, le stockage et la transformation des produits alimentaires végétaux ou animaux ont une importance considérable, d'une part, en raison du rôle économique et social qu'ils revêtent en milieu rural et urbain où ces activités constituent une source de revenus non négligeables, d'autre part, en raison du rôle essentiel que ces activités jouent, aux plans nutritionnel et sanitaire, dans la stratégie nationale d'autosuffisance alimentaire qui préoccupe de nombreux gouvernements.
La transformation des produits alimentaires périssables en vue d'assurer leur conservation sur une longue période est une préoccupation humaine née avec la révolution néolithique. Plus récemment, c'est devenu une nécessité économique justifiée notamment par la réduction des pertes de nourriture qu'elle permet d'obtenir ainsi que par une nécessité sociale liée aux droits fondamentaux de l'homme moderne de disposer de nourriture en permanence et en quantité suffisante. Par ailleurs, la possibilité qu'offre la conservation des aliments d'affranchir l'agriculture des aléas climatiques et des fluctuations saisonnières de production et de prix qui en découlent assure non seulement une meilleure stabilité des marchés intérieurs, mais elle permet également à certains pays d'exporter des surplus agricoles générateurs de devises négociables.
Le présent dossier technique traite exclusivement des petites conserveries de fruits, bien que la plupart des entreprises aient en fait vocation pour transformer également des légumes. Fruits et légumes sont en effet souvent indissociables ou complémentaires à plus d'un titre. Dans les deux cas, il s'agit d'un matériel végétal à forte teneur en eau, donc particulièrement biodégradable sous l'action conjuguée des insectes, des moisissures, des multisystèmes enzymatiques et des températures élevées. Fruits et légumes sont en grande majorité cultivés au niveau familial, quand il ne s'agit pas d'essences spontanées faisant l'objet de cueillettes. Cette production géographiquement diffuse subit des pertes quantitatives et qualitatives considérables, souvent estimées à 50 pour cent des récoltes, dues en grande partie au caractère saisonnier des récoltes mais également aux mauvaises conditions de transport, de transformation et de commercialisation qui prévalent dans de nombreux pays en développement.
Complémentaires, fruits et légumes le sont également au plan nutritionnel, car ils constituent un supplément indispensable des régimes de base constitués de céréales et de féculents relativement pauvres en vitamines et en sels minéraux divers. Inséparables, fruits et légumes le sont, d'autre part, très souvent en matière de transformation, non seulement du fait de la similitude des traitements technologiques qu'ils subissent et des équipements nécessaires à leur transformation, mais également par la possibilité qu'offrent leurs calendriers respectifs de récolte de maintenir une conserverie en activité durant toute l'année, avec tous les avantages socio-économiques que cela comporte.
Si plusieurs pays en développement ont bien réussi à maintenir un équilibre nécessaire entre l'implantation d'entreprises industrielles importées et à haute intensité de capital et le développement de petites et moyennes entreprises peu mécanisées et peu sophistiquées, certains autres pays, par contre, éprouvent encore des difficultés à définir une politique réaliste de développement dans le secteur agro-industriel, la principale difficulté consistant à définir, pour une industrie donnée, une échelle de transformation adaptée aux nombreuses contraintes imposées par l'environnement. En ce qui concerne les fruits et les légumes, leur transformation peut être envisagée aussi bien au niveau de la mini-entreprise familiale qu'à celui de la grande industrie classique. Une prise de décision devra cependant prendre par priorité en considération la nécessité d'adapter la taille de l'entreprise au volume et au système de production des matières premières en amont, ainsi qu'aux débouchés potentiels offerts par le marché ciblé en aval, lui-même lié à l'évolution du pouvoir d'achat des consommateurs essentiellement citadins.
Une autre difficulté que rencontrent parfois les décideurs politiques et les responsables techniques du développement industriel est liée au manque de connaissances techniques suffisantes pour orienter judicieusement une décision, la diffusion des informations techniques souhaitables vers les milieux concernés (politiciens, cultivateurs, fonctionnaires, financiers, entrepreneurs) étant trop souvent inexistante ou mal assurée. Pour pallier à cela, le BIT a entrepris de publier et de diffuser largement une série d'ouvrages techniques portant sur la promotion de petites et moyennes entreprises artisanales de transformation de différents produits manufacturés ou alimentaires; certains de ces ouvrages d'accès facile sont publiés conjointement avec la FAO, l'ONUDI ou le PNUE.
Le présent document, dont la publication a été rendue possible grâce à une subvention du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, décrit des techniques de transformation relativement simples, ne requérant aucun matériel automatisé ou sophistiqué, dont la mise en application peut être envisagée aussi bien au niveau de la petite entreprise familiale qu'à l'échelon d'une moyenne entreprise à caractère semi-industriel. Ce dossier technique fait partie d'une série de huit publications sur le stockage et la transformation des produits alimentaires1. A l'instar des autres publications de la série, il vise à familiariser les petits producteurs et entrepreneurs avec des procédés et des techniques de production spécifiques de différents produits afin de les aider à sélectionner et à appliquer les méthodes les mieux adaptées aux conditions socio-économiques locales. Mais contrairement à d'autres documents de la série, ce dossier ne fournit pas de liste de fournisseurs d'équipements, un grand nombre d'entre eux étant représentés dans la plupart des pays en développement. Les lecteurs soucieux d'obtenir de plus amples informations sur les procédés et matériels décrits pourront s'adresser soit directement à des fournisseurs locaux, soit aux divers organismes et instituts dont la liste est donnée en annexe.
1 Les dossiers publiés en version française concernent le stockage du grain, la conservation des fruits et la conservation des légumes. Cinq dossiers portant respectivement sur la mouture du maïs, la transformation du poisson, l'extraction de l'huile d'arachide et de copra, la transformation de la viande de porc et de la viande de boeuf ne sont actuellement disponibles qu'en version anglaise.
Ce dossier donne des informations techniques précises et détaillées sur tous les modes de conservation classiques des fruits, exception faite des procédés industriels tels que la congélation, la cryoconcentration ou l'irradiation, trop onéreux et énergivores et inapplicables à l'échelon de transformation artisanale seul pris en considération ici.
Le chapitre 1er fait plus particulièrement état des éléments techniques et socio-économiques à prendre en considération en vue de définir une stratégie nationale de développement dans ce secteur d'activité ainsi qu'une échelle de transformation adaptée aux conditions particulières de chaque pays en développement, l'accent étant mis sur l'intérêt que revêt le sous-système artisanal pour la plupart d'entre eux. Ce chapitre s'adresse donc en priorité aux décideurs politiques et aux investisseurs soucieux de valoriser au mieux les ressources dont ils disposent.
Les chapitres 2 à 8 intéresseront plus particulièrement les responsables de la fabrication des conserves de fruits, quel que soit le niveau de transformation considéré, de la ménagère qui sèche des fruits destinés à la consommation familiale, à l'artisan qui fabrique des conserves appertisées destinés à la vente. Parmi ces chapitres techniques, deux d'entre eux traitent d'aspects généraux de la conservation puisqu'ils décrivent en détail:
- les prétraitements que doivent subir, selon leur nature, les fruits avant d'être stabilisés sous une forme ou sous une autre (chapitre 2);- les divers modes de conditionnement - types d'emballages, matériaux utilisés, systèmes de fermeture, étiquetage - utilisés pour maintenir les fruits transformés à l'abri des sources d'altération du milieu extérieur (chapitre 8).
Les chapitres 3 à 6, qui constituent le corps de l'ouvrage, décrivent avec minutie toutes les séquences des diverses chaînes possibles de transformation, en précisant pour chacune d'elles le principe sur lequel elles se fondent, les matériels spécifiques qu'elles requièrent et les cas particuliers qu'elles englobent. Sont ainsi traités successivement:
- la conservation par séchage (chapitre 3), ancestrale et universellement pratiquée dans les pays chauds, qu'il s'agisse du séchage naturel ou du séchage artificiel par conduction ou convection, réalisé dans différentes structures de séchage souvent construites en matériaux locaux;- la conservation par le sucre (chapitre 4), dont la forme la plus répandue est représentée par les confitures, les marmelades et les gelées de fruits, ainsi que par les sirops de fruits tropicaux. Ces produits courants, relativement faciles à préparer au niveau familial, peuvent être commercialisés sur différents marchés intérieurs ou extérieurs. Les pâtes de fruits et les fruits confits, quoique moins consommés dans les pays en développement, peuvent également constituer une source de revenus grâce à l'exportation;
- la production de diverses conserves pasteurisées ou appertisées telles que les compotes de fruits, les jus et les nectars, les fruits au naturel et au sirop, évoquée au chapitre 5. Elle concerne plus la petite et moyenne entreprise semi-industrielle que la production familiale ou villageoise, car elle requiert un appareillage plus élaboré et un niveau de technicité plus élevé que la préparation de confitures familiales;
- la conservation de produits tels que les olives vertes et noires, dont la production est strictement limitée au bassin méditerranéen, ainsi que la fabrication de pickles et de chutney (chapitre 6). Les procédés de conservation correspondant à ces types de produits, fondés sur l'action singulière ou simultanée de sel, de vinaigre, de sucre et de chaleur, confèrent aux fruits qui les subissent une saveur aigre-douce particulièrement appréciée des consommateurs anglo-saxons et nordiques.
Quant au chapitre 7, il traite de la production d'alcool éthylique et de vinaigre à partir des jus de fruits.
L'hygiène et la propreté des hommes, du matériel et des locaux constituant un des facteurs essentiels de réussite en matière de conservation des fruits, le chapitre 9 fournit des précisions utiles sur le traitement des eaux destinées à divers usages ainsi que sur les modes de nettoyage et de désinfection des appareillages et des locaux. Par ailleurs, l'implantation d'une conserverie artisanale ou semi-industrielle ne peut laisser les pouvoirs publics et notamment le législateur indifférents, compte tenu des effets que l'entreprise peut avoir sur l'environnement. A cet égard, le chapitre 10 traite de l'effet polluant de certains sous-produits et de leurs utilisations, des altérations nutritionnelles possibles dues aux divers traitements subis - pouvant aller jusqu'à des intoxications mortelles - ainsi que des problèmes liés à la consommation d'énergie.
Les deux derniers chapitres de ce dossier intéresseront plus particulièrement les futurs entrepreneurs désireux de créer une conserverie ainsi que les institutions financières puisqu'ils traitent respectivement:
- de la méthodologie d'étude des coûts de production (chapitre 11), tous les facteurs à prendre en considération dans l'établissement d'un dossier succinct de faisabilité étant passés en revue;- de la conception d'une unité de transformation (chapitre 12) réalisée à la lumière de la méthodologie décrite au chapitre précédent et illustrée par un exemple chiffré concret ayant une valeur indicative générale.
Un glossaire de termes techniques figure à l'annexe I et une table de conversion d'unités à l'annexe II. L'annexe III fournit une liste d'organismes et d'instituts auxquels les lecteurs intéressés pourront s'adresser pour obtenir de plus amples informations et éventuellement des documents. Une bibliographie sommaire figure en fin de dossier.
Les lecteurs souhaitant formuler des observations ou des commentaires sur le contenu de ce dossier pourront le faire en retournant le questionnaire joint au dossier au BIT. Leurs commentaires et observations seront pris en compte dans la préparation d'autres dossiers.
Ce dossier technique a été préparé par le Centre international de recherches agricoles pour le développement (CIRAD) de Montpellier et M. J.C. Miche, consultant du BIT, sous la supervision de M. Allal, responsable de la série des dossiers techniques au Service de la technologie et de l'emploi du BIT. M. Marcel Robert, consultant du BIT, a également très largement contribué à la préparation de l'ouvrage.
A.S. Bhalla
Chef du Service de la technologie et de l'emploi,
Département de l'emploi et du développement