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MISE AU POINT D'OUTILS DE PRISE DE DÉCISIONS POUR LA GESTION DES RAVAGERUS DES GRENIERS A CEREALES EN AFRIQUE DE L'OUEST

W.G. MEIKLE1, N. HOLST2, C. NANASEN1, J.N. AYERTEY3, B. BOATENG3 AND R.H. MARKHAM1

1 Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA), Bénin
2 Danish Institut of Agricultural Sciences, Department of Plant Protection, Denmark
3 Department of Crop Science, University of Ghana, Legon, Ghana

Introduction

Les modèles de simulation de la densité des insectes, du développement des champignons, de la valeur économique, etc. sont de précieux outils dans la recherche de stratégies de protection plus performantes. Ces modèles offrent un cadre utile à l'intérieur duquel l'on peut i) intégrer sa propre compréhension de divers aspects de la biologie des ravageurs, ii) comprendre l'effet de diverses options de gestion des greniers et iii) anticiper les situations dans lesquelles la pression des ravageurs et les autres variables diffèrent parfois de ce que l'on trouve dans les études sur le terrain et dans les expériences. Nous comptons montrer comment ces modèles peuvent être reliés à d'autres types d'outils tels que les techniques d'échantillonnage et les méthodes GIS (Systèmes d'Informations Géographiques) pour produire un instrument d'aide à la prise de décisions pour gérer le stockage du maïs.

Généralités: modèles de populations de ravageurs

L'une des applications originales des modèles de simulation aux greniers à maïs ruraux est le fait qu'ils offrent un moyen de diviser la dynamique de la perte de céréales en cours de stockage en processus distincts mais complémentaires, et de relier ainsi des variables dominantes, notamment le climat à la progression des pertes en passant par la dynamique des ravageurs. Dans cette approche, les processus sont représentés par des modèles de population pour différentes espèces d'insectes; ces modèles peuvent à leur tour être reliés par des fonctions représentant des interactions biologiques telles que la concurrence, la facilitation (par exemple, l'appauvrissement des ressources alimentaires par une espèce qui rend ainsi la situation plus favorable à une autre), la prédation ou d'autres relations. Jusqu'ici, nous avons pu modéliser avec succès la dynamique de population de Prostephanus truncatus et nous sommes sur le point de produire des modèles de Sitophilus zeamais et de Teretriosoma nigrescens.
Il reste encore plusieurs questions importantes à résoudre avant de pouvoir relier correctement ces modèles au plan biologique. Certes, l'on suppose que la relation qui existe entre P. truncatus et S. zeamais, par exemple, est une relation de concurrence (Vowotor, données non publiées), mais l'on ne sait pas exactement comment se manifeste cette concurrence: par une plus forte émigration, une plus faible fécondité, par une exclusion spatiale ou par d'autres mécanismes? Dans un environnement aussi complexe que le grenier à grain, il est difficile de mesurer directement les paramètres qui déterminent la réponse fonctionnelle comportementale et numérique de T. nigrescens et qui sont nécessaires pour relier le modèle du prédateur à celui de P. truncatus; ces paramètres s'obtiennent en modifiant les valeurs obtenues au laboratoire et l'ensemble des données recueillies en plein champ. Etant donné que le projet s'étend à différentes régions d'Afrique, nous comptons appliquer l'approche de modélisation à la dynamique de population de Sitotroga cerealella, en utilisant les nombreuses séries de données recueillies dans le cadre du projet au Mexique et en Amérique centrale ainsi que les données précédemment publiées par d'autres chercheurs.
Même le modèle de population d'une seule espèce (Meikle et al., 1998), une fois relié à des pertes de poids journalières par tête, peut servir valablement à évaluer des hypothèses concernant les effets de facteurs climatiques et de différentes stratégies de protection. La Figure 1, qui s'inspire du travail de Markham et al. (1996), examine l'effet de différents taux de séchage du grain sur la perte de poids du grain. Les variables dominantes utilisées pour ces séries du modèle sont 1) les courbes de séchage (teneur en eau du grain) sur deux sites (notamment Calavi dans le sud du Bénin, et Banikoara dans le nord du Bénin) ainsi que 2) les températures journalières enregistrées à Calavi en 1994-95. Les autres paramètres, à savoir le nombre initial (50) de coléoptères et la masse de grain en stock (500 kg) ont été placés sur un pied d'égalité. Le séchage du grain à moins de 10% de teneur en eau à Banikoara a entraîné une perte de poids nettement inférieure. De toute évidence, le résultat dépendra du régime climatique précis (y compris la température), de la densité de population du nuisible et de la présence d'ennemis naturels tels que T. nigrescens (Borgemeister et al., 1997), mais l'on peut étudier ces divers cas de figure à l'aide du modèle.
Le lien a été fait entre les modèles de populations d'insectes et le modèle de perte en grain en examinant plusieurs ensembles de données provenant de diverses zones agro-écologiques. Les taux de dégâts par coléoptère changent avec le temps en fonction de l'espèce, et les espèces occasionnent des dégâts de différentes manières. Certains ravageurs préfèrent s'attaquer à des grains préalablement endommagés; ainsi, la contribution d'un individu aux pertes en grain en fin de saison peut être bien inférieure à celle d'un individu similaire en début de saison. Une comparaison des espèces révèle que c'est à l'âge adulte que P. truncatus occasionne l'essentiel de ses dégâts, en creusant des galeries (Li, 1988; Demianyk & Sinha, 1988); S. zeamais, en revanche, cause plus de dégâts au cours du développement larvaire et S. cerealella n'est nuisible qu'au stade larvaire puisque les adultes ne s'alimentent pas. Grâce aux données générées par les études sur le terrain réalisées par notre projet au Mexique et en Amérique centrale ainsi qu'en Afrique de l'Ouest sur la dynamique de population des insectes et les pertes en grain dans les greniers à maïs ruraux, nous pouvons estimer les taux de dégâts par insecte pour plusieurs espèces nuisibles dans des situations qui diffèrent considérablement en termes de climat, d'altitude et d'écologie. Les contributions relatives des différentes espèces à la perte totale en grain sont estimées à partir de ces ensembles de données au moyen de techniques d'optimisation numérique.

Fig. 1 Simulations des effects du teneur en eau sur les pertes du maïs. Les donnés du teneur en eau étaient collectées dans deux locations: à Banikoara, Bénin du nord, et à Calavi, Bénin du sud. FIG 2_5A (10 KB)

Pour mieux comprendre les diverses conditions dans lesquelles le maïs est stocké ainsi que les types d'options dont disposent les agriculteurs dans les grandes régions maïsicoles, nous comptons renforcer nos liens avec les projets de recherche participative et de vulgarisation tels que le projet GTZ sur la 'Lutte intégrée contre le grand capucin du maïs dans les petites exploitations agricoles.' Nous espérons également collaborer avec d'autres projets comme le Programme d'Appui au Développement du Secteur Agricole (PADSA) afin de comprendre le rapport qui existe entre les conditions climatiques ambiantes et celles qui prévalent à l'intérieur des greniers, en plaçant des sondes thermiques et hygrométriques à l'intérieur et à l'extérieur de différents types de greniers, dans des sites différents et donc dans des conditions agro-climatiques différentes. Un nouvel aspect du travail consistera à voir comment l'approche de modélisation mise au point pour des insectes nuisibles peut s'appliquer à des pathogènes. Dans certaines régions, les greniers souffrent d'importants dégâts occasionnés par des champignons et l'aflatoxine. Les concepts économiques et les principes d'échantillonnage examinés plus loin s'appliquent aussi, pour la plupart, à la gestion économique et à l'échantillonnage des greniers dans le cadre de la lutte contre les pathogènes. Une approche de modélisation similaire pourrait servir, en temps opportun, dans la mise au point et la diffusion d'options de lutte contre les ravageurs au moyen d'entomopathogènes.

Modélisation économique

Les densités de population des insectes et les taux de perte en grain ne constituent pas les seuls processus dynamiques dans le système de stockage du maïs. La valeur du maïs dans un grenier à céréales est tout aussi dynamique et complexe. Il est évident que les prix du maïs changent de manière relative et, dans un certain sens, de façon prévisible au cours d'une année en fonction de la demande. Les prix ont tendance à être à leur plus bas niveau juste après la récolte, en août et septembre presque partout au Bénin, et à leur plus haut niveau à la fin de la saison sèche quand on a besoin du grain pour les semis, quand les provisions familiales sont presque épuisées et quand il y a peu d'autres sources de nourriture fraîche. Les prix du maïs changent aussi d'année en année, souvent par rapport à la quantité et au moment d'arrivée des pluies — et en réponse à la politique du gouvernementale en matière d'importation de céréales. De mauvaises conditions climatiques dans une province avoisinante ou un pays voisin peuvent entraîner des hausses de prix plus modérées dans les régions environnantes. La valeur du maïs dépend également de sa qualité. Certaines variétés ont une plus forte valeur économique que d'autres et le maïs endommagé, qui est souvent vendu à côté d'un maïs ‘propre’ peut voir sa valeur changer par rapport à celle du maïs propre.
La valeur d'un grenier à céréales peut être modélisée pour analyser la valeur et l'impact d'une certaine stratégie de lutte contre les ravageurs et pour évaluer l'élément économique dans le processus de prise de décision chez l'agriculteur. La Figure 2 illustre cette approche dans laquelle nous avons utilisé des ensembles de données - sur les dégâts causés aux grains - recueillies dans des essais en plein champ (de variétés de maïs Gbogbe et Dzolokpuita non traitées provenant respectivement du Bénin et du Ghana, stockées avec leurs spathes dans un grenier traditionnel) ainsi que des prix de maïs relevés sur des marchés du Bénin. L'analyse au laboratoire, par la méthode de comptage et de pesage (Boxall, 1986), des échantillons provenant du marché (en l’occurrence du marché Tokpa de Cotonou) a révélé que le maïs 'propre' subissait moins de 4% de perte de poids sec et que le maïs 'endommagé' subissait une perte de poids moyenne d'un peu plus de 6-7%; tout maïs plus endommagé que ce dernier était apparemment jugé invendable et servait vraisemblablement à la consommation domestique. En utilisant des données provenant de greniers expérimentaux dans lesquels la perte de poids avait été évaluée épi par épi, nous avons ensuite classé les épis par catégories selon leur perte de poids: 'propre' (<4% de perte de poids), 'endommagé' (4 à 10% de perte de poids) et 'consommation domestique' (>10% de perte de poids). Pour faciliter l'analyse des données, seul le maïs ayant perdu moins de 10% de son poids était défini comme étant commercialisable. Pour chaque échantillonnage, nous avons multiplié la quantité de grain dans les greniers entrant dans chaque catégorie par le prix respectif sur le marché (en considérant le maïs fortement endommagé réservé à la 'consommation domestique' comme étant invendable et, par conséquent, sans valeur monétaire); c'est ainsi que nous avons estimé la valeur marchande des greniers à des moments successifs pendant la campagne. Dans la Figure 2, les valeurs ainsi obtenues dans un grenier gravement attaqué par P. truncatus (IITA Calavi, Bénin, campagne de production 1994-95) sont comparées aux valeurs provenant d'un grenier beaucoup moins attaqué (Kpeve, Ghana, 1994-95) et à la courbe hypothétique d'un grenier contenant du maïs non endommagé (ce qui traduit tout simplement le changement que subit le prix sur le marché tout au long de la campagne). Il est évident que le grenier gravement attaqué perd de sa valeur à partir du troisième ou du quatrième mois.

Fig. 2 Comparaison de la valeur de deux greniers à maïs, l’un avec des dégâts faibles des ravageurs (courbe ‘basse densité’), et l’autre avec des dégâts très élevés des ravageurs (courbe ‘haute densité’), avec les valeurs marchandes mensuelles de 500 kg du maïs (courbe ‘valeur maximale’). Les deux courbes de valeurs des greniers utilisant les données du champ standardisées à 500 kg du maïs par grenier. FIG 2_5B (12 KB)

Dans ce cas, la meilleure stratégie de l'agriculteur (du point de vue de la rentabilité) consiste probablement à vendre tout excédent de céréales en octobre (et/ou à prendre des mesures d'urgence pour combattre les ravageurs). Le grenier moins gravement attaqué, en revanche, perd de sa valeur au bout de 5 à 6 mois de stockage et, même en l'absence de traitement, a une valeur supérieure en fin de campagne. Il est vrai que la courbe subit une fluctuation à cause de l'échantillonnage, mais il peut être intéressant pour l'agriculteur de conserver le surplus, tout au moins jusqu'à ce qu'il ait besoin d'argent. Il est clair, dans ce cas, que plusieurs hypothèses ont délibérément été formulées à titre de simplification et d'illustration. L'on peut y ajouter de la complexité au besoin, afin de traduire différents aspects de la situation réelle et en fonction des variables à étudier.

Echantillonnage

La mise en œuvre réussie d'un programme de PI passe souvent par l'élaboration d'un plan d'échantillonnage pour les insectes nuisibles (Wearing, 1988). Les plans d'échantillonnage réservés aux chercheurs sont généralement assez différents de ceux qu'un agriculteur pourrait utiliser. Ce qui intéresse le plus la plupart des chercheurs, c'est d'obtenir une bonne estimation de la densité des ravageurs et, étant donné qu'ils disposent généralement des équipements et du temps nécessaires, d'atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés. Pour les agriculteurs, en revanche, les plans d'échantillonnage reposeraient sur la nécessité de prendre une bonne décision concernant la mise en œuvre ou non d'un plan de protection potentiellement coûteux. Pour l'agriculteur, un bon plan d'échantillonnage épi par épi auraient les caractéristiques suivantes: relativement peu d'épis de maïs à retirer du grenier (en Afrique de l'Ouest, le maïs est généralement stocké en épis et chaque épi a relativement beaucoup de valeur), peu de règles strictes en matière de sélection des épis et pas besoin d'équipement spécial. De plus, un bon plan ne devra être mis en œuvre une ou deux fois avant qu'une décision ne puisse être prise.
Avant de pouvoir raisonnablement proposer un quelconque plan d'échantillonnage à des agents de vulgarisation ou à des paysans, il est nécessaire de déterminer deux types de paramètres (pour de plus amples informations sur les concepts étudiés ici, voir Pedigo & Buntin [1994]). L'un deux est le taux d'erreur du plan d'échantillonnage, c'est-à-dire la probabilité de décider que les densités d'insectes sont suffisamment hautes pour justifier une intervention alors qu'elles ne le sont pas, ou que les densités sont basses et sans risque alors qu'en fait, elles sont trop hautes et qu'il conviendrait d'agir. L'on accepte souvent des taux d'erreur relativement élevés, comme 0,1 par exemple, pour les plans d'échantillonnage (Binns, 1994). Il conviendrait cependant d'évaluer soigneusement toute hypothèse par rapport aux conditions économiques des petits exploitants qui conservent du maïs et par rapport à leur perception du risque. Nombreux sont les paysans qui comptent sur leur stock de céréales pour la subsistance de leur foyer et qui ont peu d'alternatives ou de réserves financières pour rebondir en cas de mauvaise décision concernant la gestion de leurs stocks.
Le second type de paramètre est le niveau de dégât économique (NDE), c'est-à-dire la densité d'insectes à laquelle le coût des dégâts du ravageur dépasse le coût de la stratégie d'intervention et une décision doit être prise (techniquement parlant, le moment réel auquel une décision doit être prise en matière de lutte est appelé ‘seuil d'action’ et prévoit le décalage entre la mise en œuvre et l'effet). La décision elle-même comporte généralement un risque — d'acheter et d'appliquer inutilement des pesticides, par exemple, ou bien de perdre ultérieurement le maïs parce que l'on a décidé de ne rien faire. C'est pour cela qu'il importe d'estimer correctement le NDE. Le NDE et le seuil d'action sont des paramètres complexes qui comprennent le prix du maïs au moment où il sera vendu, le coût du traitement par rapport à la valeur des pertes occasionnées par l'insecte, le taux de recrutement de la population du ravageur dans le grenier et d'autres facteurs. Le NDE est rarement connu ou arrêté pour les ravageurs des cultures d'Afrique de l'Ouest, mais une analyse économique permettrait de dresser une carte des indices de NDE à travers différentes régions et pour différentes périodes de l'année.
Il existe deux types fondamentaux de plans d'échantillonnage pour les greniers à maïs sur épis: les plans destructifs et les plans non destructifs (le maïs égrené est une autre affaire). Les plans non destructifs, comme le fait d'examiner l'état extérieur du grenier ou de sortir quelques épis pour les observer et les remettre dans le grenier, présentent l'avantage d'être peu coûteux en épis de maïs. Examiner l'aspect du grenier est relativement facile si les épis sont exposés comme dans un grenier "awa", mais en présence de structures fermées, cela peut s'avérer plus ou moins difficile selon la conception du grenier. Un autre avantage de l'échantillonnage non destructifs réside dans son coût en matériel; puisque les épis de maïs échantillonnés ne sont pas définitivement retirés du grenier, un même grenier peut être évalué plusieurs fois uniquement au prix de la main-d'œuvre. Il y a toutefois quelques inconvénients. Pour prendre une décision fondée sur l'aspect d'un grenier, l'aspect doit être quantifié et associé soit à la densité des coléoptères, soit aux pertes en grain à l'intérieur du grenier. L'erreur liée à un paramètre quelconque de l'apparence, tel le pourcentage d'épis montrant des signes d'attaque de coléoptères, est difficile à estimer et les dégâts observés sont souvent difficiles à associer avec certitude à une espèce particulière d'insecte. Etant donné que l'on n'examine que l'aspect extérieur du maïs où l'on trouve rarement des ravageurs, les estimations de la densité de population et des pertes en grain doivent être faites de façon indirecte, et cela peut être une importante source d'erreur. Les S. zeamais ou S. cerealella qui émergent, par exemple, peuvent endommager le maïs de façon similaire en apparence aux galeries creusées par P. truncatus, mais la menace posée par chaque espèce est tout à fait différente. Dans le cas d'une inspection épi par épi, l'erreur globale peut être réduite en prélevant davantage d'échantillons, mais le nombre d'épis supplémentaires requis peut être important.
L'échantillonnage destructif peut fournir des mesures directes de la densité des insectes et des pertes en grain, mais seulement au prix des grains retirés du grenier. Il présente l'avantage d'être beaucoup plus facile à évaluer et d'exiger moins d'épis avant de pouvoir prendre une décision concernant une activité économique. Les techniques de construction de plans d'échantillonnage par observation directe sont bien connues; nous avons élaboré des plans d'échantillonnage séquentiel qui font recours aux techniques d’échantillonnage destructif dans les greniers ruraux (Meikle, données non publiées). Avec les plans d'échantillonnage séquentiel, qui impliquent l'échantillonnage d'épis individuels à la suite, il faut perpétuellement garder un nombre total d'insectes en même temps que le nombre total d'épis échantillonnés. Si le total perpétuel des insectes passe la limite supérieure (ou ‘ligne d'arrêt’), elle-même déterminée en utilisant les taux d'erreur et le NDE, la densité est jugée suffisamment élevée pour qu'une stratégie de lutte soit mise en œuvre. De la même manière, si, au cou cours de l'échantillonnage, le total tombe en dessous de la barre inférieure, la densité du ravageur est jugée insuffisante pour représenter une menace. En général, l'échantillonnage se poursuit jusqu'à ce que l'une des lignes d'arrêt soit franchie. Même s'il n'est pas nécessaire pour un paysan ou un vulgarisateur de comprendre les diverses hypothèses qui ont servi à produire les lignes d'arrêt, il est indispensable d'identifier et de compter correctement les insectes.
Dans la pratique, il y a peu de chances que les paysans ou même les vulgarisateurs adoptent les procédures d'échantillonnage séquentiel faisant recours aux techniques destructives, tout au moins sous cette forme. Néanmoins, l'avantage principal de l'élaboration des plans d'échantillonnage de manière aussi conventionnelle et rigoureuse est peut-être le fait que cela nous oblige à analyser le système de stockage, à définir les possibilités de gestion offertes au paysan ainsi que les facteurs qui pourraient peser dans la programmation et la qualité d'une décision. Par exemple, les études de P. truncatus en grenier ont généralement montré que, même en cas d'infestations graves, les densités de population étaient rarement décelables avant 2 ou 3 mois de stockage, alors qu'à ce stade, les pertes étaient encore négligeables. Dans nos conditions locales, un plan d'échantillonnage pourrait donc suggérer un échantillonnage intensif à 3 mois et, comme indiqué précédemment, cela pourrait être le moment pour le paysan de décider s'il vend ses excédents et/ou s'il prend des dispositions pour combattre les insectes nuisibles. Certaines expériences acquises localement devraient permettre d'élaborer une procédure d'échantillonnage simplifiée qui servirait à choisir l'option appropriée selon les circonstances. Toutefois, les options et les stratégies d’échantillonnage devront être mises au point en tenant compte des conditions biologiques, climatiques et économiques qui prévalent dans chaque région.

Un cadre GIS

L'approche GIS offre un nouvel instrument puissant qui permet d'examiner différents cas de figure en matière de gestion des ravageurs dans des contextes agro-écocologiques et socio-économiques bien précis. Il est possible de lier, grâce à la dynamique des ravageurs, le modèle économique d'un grenier à maïs rural à des modèles représentant les densités escomptées des insectes et mis au point dans un cadre GIS, ce qui reflète à la fois le milieu agro-climatique et l'environnement économique. Un environnement économique GIS pour le maïs consistera en une série de données spécifiques à la région, certaines données concernant les variables climatiques et d'autres représentant les différentes variétés de maïs disponibles dans une région donnée, de même que la valeur de chaque variété par rapport aux autres et, dans le maillure des cas, une mesure de leur sensibilité aux attaques des ravageurs des stocks. Dans notre exemple (ci-dessus), nous n'avons pris en compte que les prix du maïs sain et du maïs endommagé, mais des données plus élaborées pourraient être requises pour traduire la complexité des marchés (Magrath et al., 1996; Lutz, 1994). Un ensemble de données sur les prix pourrait inclure les prix du maïs sur différents marchés avec le temps, avec une interpolation spatiale à l'aide de moindres sommes des carrés. Une approche similaire est actuellement utilisée pour établir une carte d'indices de croissance démographique pour les ravageurs des produits stockés; cette carte servira à mesurer les dégâts potentiels en cas d'infestation. Un autre ensemble de données GIS pourrait inclure la densité des greniers à maïs ruraux dans chaque région, cette densité pouvant être estimée à partir de photographies aériennes ou d'enquêtes au sol. La densité des greniers est un facteur important dans l'évaluation des dégâts au niveau régional ou la gestion des interventions. Le piégeage des insectes, par exemple, peut révéler qu'une zone forestière donnée a une forte population de ravageurs, mais également une faible densité démographique humaine.

Conclusion

La synthèse de l'approche modélisation et de l'approche GIS nous offre un cadre commun dans lequel intégrer notre compréhension non seulement des processus biologiques qui surviennent dans un grenier à céréales dans un régime agro-climatologique précis, mais aussi des facteurs économiques qui interviennent dans un environnement politique donné. Cette approche analytique holistique nous aidera à mettre au point de bons outils pour les décideurs politiques, les chercheurs et les vulgarisateurs qui s'efforcent de promouvoir des options viables de lutte contre les ravageurs pour une bonne gestion des greniers ruraux. Dans le courant de l'année prochaine, nous espérons être en mesure i) de finir de relier les modèles de population afin de disposer d'un modèle intégré pour la densité des insectes et les pertes en grain dans l'écosystème du grenier; ii) d'établir, à l'aide du modèle, des cartes de dégâts potentiels des ravageurs dans les systèmes de stockage en vigueur en Afrique de l'Ouest. et iii) d'élargir les analyses de manière à inclure les champignons pathogènes et les aspects économiques du grenier à céréales. Nous sollicitons vivement la collaboration des partenaires de différentes régions d'Afrique dans cet effort incessant.
Pour conclure, il convient de souligner que l'approche modélisation présentée ici ne prétend en aucune manière se substituer à l'approche participative en milieu paysan. Au contraire, les deux approches sont complémentaires et en véritable synergie. La modélisation peut nous aider (les chercheurs et décideurs politiques en particulier) à comprendre les processus biologiques et socio-économiques qui sous-tendent les phénomènes observés dans certaines études. L'analyse de ces processus peut nous aider à savoir quels facteurs sont spécifiques à certains sites et lesquels sont susceptibles d'intervenir à plus grande échelle. Tout travail approfondi en milieu réel, que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans celui de la vulgarisation, exige beaucoup de temps et de moyens. Les approches modélisation et GIS peuvent nous aider à cibler les efforts sur les secteurs qui en ont le plus besoin et qui ont le plus de chances d'en tirer profit.

Références

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Boxall, R.A., 1986. A critical review of the methodology for assessing farm-level grain  losses
after harvest. Report of the Tropical Development and Research Institute G191, Natural Resources Institute, Chatham, Kent, U.K.
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