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6 Le système d'exploitation paysan : quels avantages la protection des denrées stockées apporte-t-elle au groupe cible ?

Avec les travaux de PANTENIUS (1988) - qui ont ouvert la voie dans ce domaine - et les autres résultats présentés à la section 5.1, l'on disposait de chiffres concrets sur les pertes, qui soulignaient le caractère impérieux des mesures de protection des denrées stockées. Il n'existait en revanche que peu de repères permettant de quantifier les incidences socio-économiques de la protection des denrées stockées sur les systèmes d'exploitation paysans et, partant, sur le niveau de vie des familles.

HENCKES (1992), ALBERT (1992) et MUTLU (1998) ont entrepris d'autres recherches visant à mesurer l'importance des ravageurs des stocks pour les ménages paysans. Mettant particulièrement l'accent sur le GCM, HENCKES (1992) a étudié l'état des dégâts et pertes occasionnés dans des greniers à maïs du nord de la Tanzanie dans le but de développer une approche de lutte intégrée. Il a établi pour la première fois le rapport entre les dégâts et pertes frappant le maïs et les pertes financières consécutives en collectant des données sur l'adhésion des consommateurs et la relation entre la qualité du maïs et son prix sur des marchés locaux (cf. encadré 4).

Dans toutes les études sur les pertes mentionnées ici, les pertes économiques dues aux ravageurs des stocks - y compris le GCM - s'avèrent minimes au cours des trois à quatre premiers mois de stockage. HENCKES (1992) a instauré un seuil économique de dégâts pour son approche de protection intégrée des denrées stockées. Il propose de diviser la récolte comme suit :

· une partie destinée à la consommation dans les premiers mois, et ne nécessitant pas de traitement

et

· une partie destinée au stockage à long terme, laquelle sera traitée au moyen d'un insecticide binaire.

HENCKES (1994) a défini le seuil de dégâts momentané sur la base des quantités stockées respectivement traitées et non traitées par rapport aux pertes et prix du marché escomptés. Ce procédé s'est cependant révélé trop complexe dans la pratique, car ces paramètres ne sont pas faciles à déterminer. Cette approche a néanmoins été incluse, sous une forme simplifiée, dans la stratégie de lutte intégrée contre le GCM et les ravageurs des stocks associés.

SCHNEIDER (inédit) élabore actuellement une méthode qui permettra de prévoir les infestations de ravageurs et les pertes connexes pour une zone définie.

Encadré 4 : Pertes économiques dues au GCM en Tanzanie

HENCKES (1992) a présenté dans une étude réalisée en 1988-91 les dégâts et pertes provoqués par le GCM dans des greniers à maïs traditionnels du nord de la Tanzanie :

· au 9e mois de stockage (sans traitement), les pertes de matière sèche s'élevaient à
- 31,8 % pour le maïs en épis avec spathes,
- 7,8 % pour le maïs en grains ;

· durant cette période de stockage, les pertes économiques ont été les suivantes :
- 28 % de la valeur totale pour le maïs en épis,
- 4 % de la valeur totale pour le maïs en grains.

Selon un sondage, les paysans étaient prêts à accepter de consommer du maïs ayant subi une perte de matière sèche de 6 à 20 % (ce qui correspondait à une fourchette de 62 à 95 % d'épis infestés). S'agissant du maïs en épis, cela signifiait une perte effective de 66,6 % de maïs consommable au bout de 9 mois de stockage, soit le double de la perte en matière sèche indiquée ci-dessus.

Le maïs proposé à la vente sur le marché présentait une perte de matière sèche de 2 % seulement (pour une infestation de 10 %), ce qui révèle l'application au maïs commercialisable de critères de qualité plus sévères, et donc des pertes économiques d'autant plus élevées quand il s'agit de maïs destiné à la vente.

ALBERT (1992) a entrepris une étude exhaustive de certains aspects économiques du stockage du maïs et de la protection des denrées stockées chez les petits agriculteurs du sud du Togo. Il a élaboré à cet effet de nombreux calculs types qui ont mis en évidence la rentabilité de 13 méthodes différentes associant modes de stockage et modes de protection des denrées stockées, et applicables à trois types d'exploitation.

Ces calculs types concernent aussi bien le stockage du maïs en épis avec spathes que le stockage du maïs en grains. L'auteur a comparé en l'occurrence le stockage dans l'habitation, en greniers traditionnels, dans des locaux spéciaux, et dans des greniers-séchoirs (« narrow crib »). Les méthodes de protection prises en compte comprenaient la mise en _uvre de procédés traditionnels tels que la cendre, les feuilles de neem, etc., d'insecticides binaires, ainsi qu'une option sans traitement. On trouvera dans l'encadré 5 une présentation des principaux résultats et conclusions de ces travaux.

Encadré 5 : Aspects micro-économiques des mesures de protection des denrées stockées au Togo*

Fondant ses observations sur trois périodes de stockage (1986 - 88), ALBERT (1992) a étudié la rentabilité de 13 modes de stockage et de protection du maïs dans des petites exploitations agricoles du sud du Togo. À la suite d'une série de trois essais portant sur l'état des pertes, il est parvenu aux résultats suivants pour le maïs en épis non traité :

· grande saison 1987, au bout de 5 mois de stockage 5 à 6 %,
· petite saison 1987/88, au bout de 6 mois de stockage 10 %,
· grande saison 1988, au bout de 8 mois de stockage 10 %.

Au cours des 2e et 3e saisons, il a également été procédé à des essais concernant l'efficacité de certains insecticides binaires. Les pertes mesurées en l'occurrence se chiffraient à 0,5, 2 et 6 %.

ALBERT a effectué des calculs types portant sur la rentabilité des mesures de protection des denrées stockées et prenant en compte les facteurs suivants :

· structure de stockage (habitation, entrepôt, grenier traditionnel, grenier-séchoir),
· denrée stockée (maïs en épis avec spathes, maïs en grains),
· méthode de protection des denrées stockées (méthodes traditionnelles, insecticides binaires, sans traitement).

Ce faisant, il a pris pour hypothèse des pertes moyennes d'une valeur de 14,4 % au 8e mois de stockage, ce qui équivaut, dans les cas de prélèvements permanents, à une perte globale de 6 % de la quantité stockée.

Voici les principales conclusions à tirer de ces calculs types :

· de manière générale, les frais de stockage (coûts de la construction, matériels de stockage et somme de travail requise pour la mise en stock) dépassent de beaucoup les coûts de protection des denrées stockées ;
· les méthodes de stockage traditionnellement employées par les agriculteurs sont loin d'aboutir aux pertes substantielles communément admises ;

* Pour apprécier les données indiquées, il faut tenir compte de ce que le GCM, à l'époque considérée, ne jouait encore qu'un rôle limité.
· le stockage dans l'habitation et en greniers traditionnels est le plus avantageux du point de vue des coûts ;
· des mesures spéciales de protection des denrées stockées ne sont conseillées que pour une période de stockage supérieure à trois mois ;
· si les méthodes traditionnelles de protection des denrées stockées sont meilleur marché que l'utilisation d'insecticides synthétiques, la différence ne joue toutefois qu'un rôle mineur étant donné que le coût global d'ensemble de la protection des denrées stockées est relativement bas. Du point de vue de l'efficacité, les méthodes traditionnelles sont en outre moins fiables que les insecticides binaires ;
· le stockage en grains n'est rentable que s'il n'implique pas la construction de nouvelles structures de stockage.

Dans le cadre d'une évaluation par le BMZ du projet GTZ « Lutte biologique intégrée contre le GCM », SCHLEICH et al. ont entrepris au printemps de 1993 de nouveaux calculs visant à déterminer la rentabilité à l'échelle de l'exploitation des mesures de protection des denrées stockées au Togo. Ces calculs intégraient diverses options, à savoir le stockage traditionnel de maïs sans produits de protection, le stockage traditionnel avec application d'un insecticide binaire, le stockage de maïs en grains avec application d'insecticide, et enfin la lutte biologique intégrée à l'aide de Tn.

Les auteurs sont arrivés à la conclusion que ces quatre procédés sont tous rentables pour le paysan lorsque la quantité totale de maïs stockée (1,3 t) séjourne 8 mois durant dans le grenier (une supposition peu réaliste dans la pratique). C'est l'application d'insecticides, en raison de sa haute efficacité présumée, qui présentait dans ces calculs la meilleure rentabilité. Cette hypothèse ne tenait cependant pas compte du fait que l'application d'insecticides entraîne fréquemment des difficultés dans la pratique, et que ces difficultés se traduisent par un manque d'efficacité qui limite fortement le rendement, théoriquement élevé, des produits synthétiques de protection des denrées stockées.

Dans l'hypothèse plus réaliste des prélèvements continuels de denrée stockée, la rentabilité des quatre méthodes accuse une baisse très nette, la lutte biologique intégrée s'avérant alors équivalente, d'un point de vue économique, au traitement à l'insecticide.

L'exposé le plus récent sur la rentabilité à l'échelle de exploitation de la lutte contre le GCM par la mise en _uvre de Tn figure dans le rapport d'expertise établi par KRAUSE & MÜCK (1996) dans le cadre d'un contrôle de l'avancement de projet. Ce calcul est fondé sur des données provenant des régions méridionales du Bénin, du Ghana et du Togo, sur lesquelles on possède des chiffres relativement précis. Le rapport d'expertise parvient à un résultat positif pour les exploitations paysannes dans la mesure où la méthode de lutte biologique impliquant l'insecte utile Tn non seulement n'entraîne pas de frais pour les paysans concernés, mais se traduit même par un bénéfice du fait de la réduction des pertes dans les stocks de maïs et de cossettes de manioc. Les calculs, qui ne tiennent pas compte des divergences régionales ou saisonnières, sont représentés en détail dans l'encadré 6.

MUTLU (1998) s'intéresse au premier chef au système d'exploitation paysan et, par là même, aux familles paysannes. Son étude avait pour objectif d'examiner l'efficacité de l'insecte utile dans la nature (cf. encadré 3) et d'analyser les effets socio-économiques de la lutte biologique contre les ravageurs sur les petites exploitations du sud du Togo (cf. encadré 7).

Encadré 6 : Rentabilité de la lutte biologique contre le GCM pour
les exploitations des régions littorales de l'Afrique de l'Ouest

KRAUSE & MÜCK (1996) ont présenté un calcul portant sur la rentabilité à l'échelle de l'exploitation de la lutte contre le GCM par Tn dans les régions sud du Bénin, du Ghana et du Togo. Ils sont partis en l'occurrence des hypothèses suivantes :

· quantité moyenne de maïs stocké par exploitation rurale : 1 t
· durée moyenne de stockage : 6 mois, avec prélèvements continuels
· total des pertes dues au GCM (sans Tn) : 170 kg (17 % de la quantité stockée)
· prix du maïs : 0,30 DM/kg
· taux d'infestation par le GCM : 1 grenier sur 3.

Dans ces conditions, un paysan sur trois risque de subir des pertes équivalant à environ 50 DM par an.

Sur la base d'une estimation prudente de la réduction des pertes imputable à Tn, on est parti du principe que le niveau des pertes se stabiliserait à plus ou moins long terme aux alentours de 10 %, la perte matérielle n'atteignant plus alors que 17 DM par an environ. La mise en _uvre de méthodes supplémentaires, peu coûteuses, de gestion intégrée post-récolte permettrait, selon une estimation tout à fait réaliste, de ramener les pertes à 5 %. Si cette estimation se confirme, les pertes annuelles ne seront plus que de 10 DM par exploitation. En d'autres termes, l'exploitation réalisera une plus-value de quelque 40 DM par an grâce à diverses mesures de protection post-récolte.

Après comparaison des approches de HENCKES (1992, 1994), ALBERT (1992), SCHLEICH et al. (1993), KRAUSE & MÜCK (1996) et MUTLU (1998), il reste encore beaucoup de questions sans réponses. Les sondages effectués par HENCKES sur le seuil d'adhésion des consommateurs permettent d'induire que les pertes économiques occasionnées par le GCM sont en réalité plus importantes que la simple conversion en argent des pertes de matière sèche ne le laisse supposer. Les conclusions livrées par ALBERT à partir de son étude du système d'exploitation paysan mettent en évidence, en ce qui concerne le maïs, que les pertes peuvent être dans certains cas tellement insignifiantes que les mesures de protection des denrées stockées ne sont pas rentables. Les calculs de KRAUSE & MÜCK (1996) mettent en exergue la rentabilité, à l'échelle de l'exploitation, de la lutte biologique contre le GCM, en laissant toutefois de côté les détails relatifs aux deux périodes de stockage, aux préférences des consommateurs, ainsi qu'aux variations de prix saisonnières et autres conditions d'ensemble (cf. encadré 6). Si l'étude de MUTLU (1998), qui est centrée sur un système d'exploitation
, conclut que la protection du maïs stocké n'a qu'un impact relativement limité sur la réussite économique des ménages paysans, elle souligne néanmoins dans le même temps l'importance de la protection des denrées stockées au regard de la sécurité économique et de l'approvisionnement des familles, ainsi que pour la protection de l'environnement et des ressources naturelles.

Encadré 7 : Effets socio-économiques de la lutte biologique
contre le GCM sur les systèmes d'exploitation paysans du sud du Togo

De 1991 à 1993, MUTLU (1998) a réalisé cinq essais à la ferme portant sur des greniers à maïs et effectué des sondages normalisés auprès des ménages dans 162 exploitations de la région côtière du Togo. Les résultats peuvent se résumer comme suit :

S'agissant de la disponibilité et de la mise en _uvre des ressources, on peut répartir les systèmes d'exploitation sud-togolais en trois types :

_ les exploitations pauvres en ressources pratiquant la culture intensive,
_ les exploitations moyennement dotées en ressources et pratiquant uniquement la culture extensive, et
_ les exploitations riches en ressources pratiquant la culture intensive.

Dans ces trois systèmes d'exploitation, la production végétale, qui représente environ 50 %, est une composante majeure du revenu familial, alors que la production animale, avec moins de 2 %, n'a qu'une importance marginale. Les 50 % restants sont le produit d'activités ménagères et hors exploitation. Suivant le type d'exploitation, la contribution du stockage de maïs au revenu familial varie entre 2 et 6 %. C'est à titre de fournisseur de revenus en espèces que le stockage du maïs joue un rôle important (50 % env. du maïs prélevé dans le grenier est destiné à la vente). Il évite en outre le manque de liquidité, surtout dans les périodes de difficulté extrême. L'organisme utile Tn permettra à l'avenir d'augmenter de 1 à 2 % le revenu familial.

L'analyse de la situation d'approvisionnement des exploitations a montré que l'alimentation de nombreuses familles en énergie et en protéines était insuffisante. Or, pour l'ensemble des familles, le maïs est le principal fournisseur d'énergie et de protéines. La lutte biologique contre le GCM va permettre d'améliorer de 1 à 10 % le taux de couverture des besoins en énergie des familles sous-approvisionnées.

En raison de l'infestation par le GCM, l'emploi de produits chimiques pour la protection des stocks de maïs a fortement augmenté au cours de ces dernières années. Le succès de la lutte contre le GCM à l'aide de Tn et les réductions des pertes connexes vont permettre aux paysans et paysannes de renoncer de nouveau, à l'avenir, à utiliser les préparations chimiques dans les greniers à maïs. La lutte biologique contre les ravageurs contribue ainsi à réduire considérablement la mise en _uvre de produits chimiques pour la protection des denrées stockées et, partant, à préserver l'environnement et les ressources naturelles.

Les calculs visant à établir la compétitivité économique des méthodes de protection des denrées stockées montrent que lorsque l'organisme utile fournit un rendement élevé, ce qui est actuellement en passe de se produire dans le sud du Togo, la lutte biologique contre les ravageurs, associée à des mesures de protection intégrée, est plus avantageuse du point de vue économique que la mise en _uvre de produits chimiques.

L'introduction de l'organisme utile Tn nécessite un réajustement des recommandations données par les services de vulgarisation. C'est ainsi qu'il est déconseillé de soumettre les denrées stockées à un traitement prophylactique. Puisque les pertes intervenant jusqu'au 4e mois de stockage sont négligeables au plan économique, il n'est pas nécessaire de prendre des mesures de protection particulières pour le maïs à stocker à court terme. Le maïs destiné à être stocké plus de 4 mois peut être protégé des infestations par diverses méthodes intégrées. L'une de ces méthodes est le contrôle visuel. En cas d'infestation par le GCM, c'est le paysan qui doit, en fonction des dégâts, décider s'il peut encore les tolérer ou s'il lui faut au contraire recourir à des produits chimiques. Dans la négative, il est recommandé de vider le grenier, de déspather le maïs, de l'égrener et de le mettre en vente.

Malgré leurs approches différentes, les travaux cités permettent de dégager certaines tendances :
· d'une région et d'une année à l'autre, le GCM constitue une menace plus ou moins grave pour les denrées stockées ;
· on ne peut pas toujours se contenter de convertir les pertes de matière sèche en pertes financières, étant donné que les manifestations du dégât peuvent également influencer les prix du marché (p. ex. en Tanzanie et au Ghana) ;
· la rentabilité des mesures de protection des denrées stockées dépend aussi de facteurs socio-économiques, d'où la nécessité d'avoir une approche différenciée pour certaines régions et certains systèmes d'exploitation, et de ne pas extrapoler. Dans la plupart des cas, c'est aux exploitations elles-mêmes qu'il appartient de prendre une décision spécifique ;
· la lutte biologique contre le GCM, qui est une démarche rentable pour les exploitations paysannes, présente également des avantages économiques et écologiques à long terme puisque la nécessité d'utiliser des produits de protection synthétiques reste ainsi limitée à des cas d'exception.

La rentabilité du stockage du maïs est susceptible d'être plus fortement influencée par les variations de prix saisonnières et la décision connexe (bonne ou mauvaise) de vendre que par les infestations de ravageurs. Il est donc indispensable, dans le cadre de l'approche systémique (cf. section 9), de collecter davantage d'informations sur les facteurs socioculturels et économiques auprès des paysans, commerçants et consommateurs afin de pouvoir apporter une réponse adaptée à la question de la rentabilité des mesures de protection des denrées stockées et formuler de justes recommandations au niveau de la vulgarisation.

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