Back to Home Page of CD3WD Project or Back to list of CD3WD Publications

6. Deux approches différentes: Quel est le meilleur moyen de paiement ? L'argent ou les céréales ?

Table des matières - Précédente - Suivante

Nos propres études de programmes de promotion de banques de céréales avaient pour but d'analyser dans quelle mesure les conditions formulées dans les "points essentiels" (cf. chapitre 5) sont remplies, ceci étant décisif por la réussite ou l'échec d'une banque céréalière. Nota bene: par réussite, nous entendons la satisfaction permanente des besoins de la clientèle (durant cinq ans au minimum), associée à la couverture des frais d'exploitation.

Au Burkina Faso et au Mali, le Projet de post-récolte a collecté certaines données concernant des banques de céréales mises en place par des organisations non gouvernementales locales ayant essayé dès le milieu des années 80 des méthodes nouvelles (GUNTHER,D. 1994; HENRY, P.E. 1993; LAROU, S. ET AL. 1993). Notre objectif était á élaborer, à partir de leur expérience, des approches prometteuses, susceptibles de profiter à d'autres banques de céréales. Au Burkina Faso, il s'agit de «projets céréaliers» s'inscrivant dans le cadre des activités menées par des associations rurales d'épargne et de crédit. Au Mali, ce sont des «greniers de prévoyance» fonctionnant sur la base de crédits en nature, dont le remboursement est assorti d'intérêts également en nature.

 

6.1 L'approche du Burkina Faso: les projets céréaliers

 

6.1.1 Intégration de banques de céréales dans des caisses d'épargne et de crédit de village

L'organisation non gouvernementale burkinabé responsable de ce projet s'est fixée pour objectif l'implantation de caisses d'épargne et de crédit de village dans la région Centre-Nord. Les associations villageoises d'épargne reçoivent des crédits individuels et collectifs destinés à divers projets, parmi lesquels figurent les «projets céréaliers», dont le propos est l'achat et le stockage collectifs de céréales, principalement du sorgho, mais également, dans des cas exceptionnels, du riz. Ces projets bénéficient d'une promotion sous forme de subvention des frais de construction de l'entrepôt (financement des frais de matériaux) et de crédits collectifs pour l'achat de céréales. Les prêts, d'une durée de 10 mois, sont accordés à un taux d'intérêts de 12 % p.a., la limite de crédit étant fixée en fonction de l'avoir sur compte épargne dont dispose le groupe.

Cette approche comporte toute une série d'avantages:

- C'est le groupe lui même qui décide de l'année cours de laquelle il va faire une demande de crédit banques de céréales, ce qui lui permet ainsi de réagir de manière souple face aux années de bonnes et de mauvaises récoltes.

- Les bénéfices réalisés ne doivent pas être obligatoirement réinvestis dans la banque de céréales, mais peuvent être placés sur un compte épargne, ce qui augmente la limite de crédit.

- Du fait qu'il s'agit de son propre argent, on peut partir du principe que le groupe sera davantage porté à le gérer économiquement que s'il s'agissait de fonds de donateurs reçus en cadeau.

- La gestion des banques de céréales se trouve facilitée par l'existence, au sein des associations d'épargne, d'un schéma bien rodé de répartition des tâches (comptabilité, attribution de crédits, gestion de la caisse).

- Cette démarche implique des mécanismes de sanction efficaces, dans la mesure où le groupe perd également sa crédibilité pour d'autres projets aussi longtemps qu'il n'a pas remboursé l'emprunt contracté pour la banque de céréales.

Parmi les 87 banques de céréales dans la région Centre-Nord (chiffre de 1991), notre étude a porté uniquement sur les 34 de la province de Sanmatenga. Cette province est réputée structurellement déficitaire, ce qui veut dire que sa population est en permanence dépendante de livraisons de céréales en provenance des provinces voisines, ou encore d'autres régions excédentaires plus éloignées.

 

6.1.2 Points critiques

6.1.2.1 Besoins

La mise en place des banques de céréales était subordonnée à la demande: là où des membres d'associations d'épargne et de crédit réputées solvables faisaient valoir des besoins, leur demande était en général acceptée. A l'exception de la solvabilité, il n'existait pas de critères standardisés à partir desquels on pouvait justifier du refus ou de l'acceptation de la demande formulée par un village.

La mise en place des banques de céréales n'était précédée d'aucune étude de faisabilité ni de calculs de rentabilité. La question du site ne faisait l'objet d'aucun examen approfondi, l'analyse des besoins étant négligée de la même manière, si bien que l'on trouve aussi bien dans des villages de 700 habitants que dans des villages qui en comptent 2000 des entrepôts standard de 25 t de capacité. Dans certains villages, il existe jusqu'à trois banques de céréales, financées par des donateurs différents. La question des coûts probables et des impératifs logistiques n'était pas davantage réglée, notamment pour ce qui est de l'approvisionnement en céréales, avec pour résultat qu'aujourd'hui une partie infime seulement des capacités de stockage disponibles est exploitée. Quant à l'existence d'une demande assortie d'un pouvoir d'achat suffisant, on en est réduit ici à de simples conjectures.

6.1.2.2 Finalité des banques de céréales

Les acteurs impliqués, à savoir d'un côté l'organisation non gouvernementale et de l'autre les exploitants et les usagers des banques de céréales, ont parfois des idées fortement divergentes sur l'utilité de ces établissements. Alors que l'organisation non gouvernementale, en tant qu'organisme de promotion, insiste très nettement sur le fait que, au-delà de la sécurité alimentaire, la banque de céréales doit être une activité visant à réaliser des bénéfices (encouragement à l'épargne, financement d'autres projets à partir des bénéfices), la plupart des exploitants la considèrent plutôt comme une tirelire: pour les villageois, l'approvisionnement en céréales se trouve facilité par la diminution des temps de trajet, en même temps qu'il devient meilleur marché dans la mesure où ils peuvent compter sur des prix de vente «sociaux» et, en cas de besoin, sur la cession de céréales à crédit.

La cession des céréales sur la base de critères sociaux revêt pour la majorité des exploitants une importance primordiale, alors que les aspects commerciaux sont plus ou moins d'une importance subordonnée pour la plupart des comités de gestion. Des conflits de rôles sont par conséquent prévisibles:

"Ma responsabilité en tant que membre conseiller est source de problèmes. Comme on ne peut pas faire tout le temps la volonté de plusieurs personnes, on aura des ennemis parmi les membres... Nous ferons savoir aux membres que les responsables ne travaillent pas pour leur propre compte"

(Cette citation, ainsi que les suivantes, sont extraites des questionnaires d'évaluation distribués au Burkina Faso et au Mali, GÜNTHER, D. 1994 a et b).

Plusieurs indices laissent à penser que l'on a sous-estimé aussi bien les tensions existant dans les villages que l'éventualité d'une aggravation de certains conflits suite à la fondation de banques de céréales.

6.1.2.3 Ressources humaines

Gestion des banques de céréales

Dans toute banque de céréales, la gestion incombe au comité de gestion, lequel comprend en général un président, un secrétaire, un acheteur, un vendeur, un comptable et un trésorier. En ajoutant les adjoints, on arrive donc parfois à un organe de 12 membres. Concernant la formation de ces comités de gestion, d'énormes progrès ont été accomplis ces dernières années. Alors que les membres des comités de gestion des premières banques de céréales, fondées en 1978, étaient encore analphabètes, ils sont à l'heure actuelle alphabétisés à 75 %, et 33 % des gérants, tout de même, ont reçu une formation spéciale les préparant à la gestion des banques de céréales.

Les participants à la formation interroges déclarent avoir des difficultés à assimiler les programmes d'enseignement (une question de formation antérieure, mais également un problème didactique), ainsi qu'à transférer les acquis dans la pratique. Les participants à des cours de formation doivent en outre s'attendre à affronter la jalousie de leur parents ou amis «restés à la maison», ce qui complique le transfert des connaissances.

Les contrôles de connaissances destinés à vérifier l'impact de l'enseignement sont assez rares. C'est principalement dans la tenue correcte des registres que doit se refléter le succès de la formation. Il s'agit-là toutefois d'un indicateur bien peu fiable si l'on considère que le manque de connaissances techniques ne suffit qu'en partie à expliquer le caractère incomplet de certains documents comptables. On essaie souvent de camoufler des problèmes quelconques, comme la diminution "inexplicable" de stocks de céréales, par une comptabilité incomplète.

S'agissant de la participation des femmes à la gestion des banques de céréales, les sondages ont montré que les femmes étaient sous-représentées dans l'ensemble des comités de gestion. Il est cependant douteux que la faible participation des femmes renvoie uniquement à un manque de connaissances techniques. Plus encore que les hommes, les femmes paraissent privilégier les solutions individuelles, aux risques calculables, au détriment des solutions collectives. Au lieu de s'engager dans les banques de céréales, les femmes se sont organisées séparément et pratiquent le stockage (semi-)collectif de sorgho, de haricots et d'arachides. Un groupe de femmes contracte un emprunt collectif, lequel est ensuite réparti entre les membres du groupe. Achat, stockage et vente se déroulent de façon individuelle (après fixation de prix d'achat maximaux), l'emprunt au contraire remboursé en commun. Les bénéfices réalisés à partir du stockage spéculatif servent à augmenter le compte commun.

Suivi et évaluation

Etant donné qu'il n'existe ni d'analyse des besoins, ni de critères standardisés concernant la mise en place des banques de céréales ni de calendriers d'exécution pour une période déterminée, on ne possède pas davantage d'indicateurs d'évaluation des résultats. Il n'y a pas non plus de documents standardisés pour le suivi et l'évaluation systématiques. On se limite en fait à contrôler plus ou moins rigoureusement les registres et les stocks et à tenir des réunions. Malgré toutes les difficultés que cela présente dans la pratique, il arrive effectivement que l'on découvre des contradictions et des filouteries, ce qui n'est en général pas suivi d'effets. Pour la personne compétente au sein de l'organisation non gouvernementale, suivi et évaluation représentent du reste un surcroît de travail, dont elle s'acquitte dans la limite où cela est réalisable financièrement et lorsqu'elle en a le temps.

6.1.2.4 Financement des activités

Le caractère opérationnel ou non d'une banque de céréales dépend essentiellement d'un facteur déterminé, à savoir si l'association d'épargne villageoise a obtenu ou non un prêt pour l'achat de céréales. Ce prêt entraîne un certain nombre de problèmes:

- Le montant du prêt est établi en fonction des avoirs sur épargne du groupe, et non pas en fonction des besoins effectifs et de la capacité de stockage.

- Les crédits destinés aux projets céréaliers sont toujours accordés à titre collectif. Lorsque le produit de la vente des céréales est insuffisant, l'emprunt contracté ne peut être remboursé que par le biais d'une répartition de la dette entre les membres du groupe. Dans certains cas, les crédits non remboursés sont également rééche-lonnés, ce qui peut aboutir à un endettement durable du village concerné. Conséquence logique: beaucoup de paysans ont peur de la responsabilité collective liée au crédit et préfèrent prendre un crédit personnel, dont les risques sont plus facilement calculables.

- Les prêts sont parfois assortis d'un délai de remboursement trop court, qui oblige à vendre à un moment défavorable pour être en mesure de rembourser à temps. S'il y a des retards dans le versement du prêt, il arrive facilement que le moment le plus favorable à l'achat soit déjà passé.

- Les crédits collectifs se voient dans certains cas détournés de leur destination première au bénéfice de projets personnels, ce qui n'attire pas l'attention aussi longtemps qu'il n'existe pas de système de suivi et d'évaluation comportant des indicateurs de performances, mais où le remboursement ponctuel de l'emprunt constitue le seul et unique indicateur de ce type.

6.1.2.5 Organisation du travail

Gestion commerciale

Les problèmes survenant au niveau de la gestion et qualifiés dans les questionnaires d'erreurs de management sont variés, puisqu'il s'agit aussi bien de difficultés non résolues d'approvisionnement et de transport qu'un stockage inapproprié entraînant une dégradation des stocks, ou encore la cession incontrôlée de céréales à crédit et les détournements de fonds. Incompétence et problèmes sociaux sont en l'occurrence étroitement liés: il n'y a pas forcément mauvaise intention au départ, mais bien souvent une incapacité de maîtriser la situation. Pour tenter d'y remédier, on commence à resquiller et pour finir, l'argent s'est envolé...

"Le crédit banque céréalière de 750.000 FCFA pris en décembre 1991 a servi à autre chose qu'à l'achat de céréales: Quand ils ont eu l'argent le prix des céréales avait déjà monté. Alors par crainte de ne pas pouvoir revendre .s'ils payaient cher les céréales ils ont partagé l'argent entre les membres du comité de gestion. Ceux-ci devaient payer leurs sommes avec un intérêt de 8 % dans huit mois. Le 23 septembre 1992 ils n'ont pu rembourser que 425.000 F..."

La vente de dix t de céréales déjà signifie de surcroît la mise en circulation de fonds considérables, qu'il est souvent difficile de conserver en lieu sûr.

"Le fait que je détiens la caisse du groupe est un problème concret. Ce problème existe parce qu'il y a trop de voleurs. Et une fois qu'ils sont au courant que tu détiens la caisse ils peuvent venir t'aggresser pour retirer l'argent."

Les ventes à perte sont impossibles à éviter lorsque le groupe a acheté les céréales à un prix trop élevé et/ou le délai de remboursement est trop court, de sorte que l'on est contraint de revendre les céréales à un moment défavorable.

Le rayon d'action des banques de céréales étudiées est très réduit: l'approvisionnement s'effectue en premier lieu au village même ou à sa périphérie immédiate. Les quantités achetées sont toujours intérieures à la capacité de l'entrepôt, et les prix ne sont pas toujours des plus avantageux du fait que les achats interviennent principalement entre janvier et mars, c'est-à-dire dans une période où les prix commencent déjà à remonter.

Fig. 14: Achat de céréales dans les banques de céréales étudiées

SOURCE: GÜNTHER, D. (1994 a)

L'approvisionnement en céréales sur des marchés relativement éloignés reuiert une logistique perfectionnée, que la plupart des banques de céréales sont incapables de fournir.

La vente a lieu de mai à septembre. Elle se fait dans la plupart des cas au comptant, à des heures d'ouverture régulières, la cession à crédit demeurant un phénomène minoritaire. Bien qu'officiellement interdite, la cession à crédit est cependant pratiquée au bénéfice de familles nécessiteuses, ce qui aboutit à des créances irrécupérables.

Processus décisionnels

La forme d'organisation majoritairement rencontrée au sein des banques de céréales étudiées coïncide avec leur autoperception, à savoir une association avant tout motivée par des intérêts sociaux. On y trouve plusieurs organes qui se contrôlent mutuellement et ne disposent que d'un pouvoir décisionnel limité. Le comité de gestion comporte de sept à huit membres, élus par l'association de village pour une durée déterminée. Seuls les deux gérants principaux, à qui incombent les deux fonctions clés, l'achat et la vente, sont élus à vie et seuls à percevoir une sorte de salaire (participation au chiffre d'affaires). A côté du comité de gestion et de l'association villageoise, on trouve encore une sorte de conseil de surveillance contrôlant toutes les activités de la caisse d'épargne.

Dans bien des cas, le comité de gestion n'est associé que de manière indirecte à la prise de décisions importantes, comme par exemple le montant de l'emprunt à contracter, les prix de vente et d'achat, les sources d'approvisionnement, etc. Cette division du travail n'a pas grand-chose à voir avec les «unités de gestion» hautement efficaces dont devrait disposer toute entreprise commerciale.

Les conflits sont réglés par l'intermédiaire de personnes de confiance demeurant au village. Les sanctions prévues (mises en demeure, amendes, exclusion) sont uniquement appliquées dans des cas exceptionnels du fait qu'elles sont apparemment en opposition avec la forme traditionnelle d'arbitrage, qui elle met l'accent sur la recherche d'un accord.

Stockage et protection des stocks

La plupart des banques de céréales sont aménagées dans des entrepôts standard de construction solide, aux murs crépis formés de blocs d'argile et recouverts d'un toit en tôle ondulée. Dans ces bâtiments, en majorité mal entretenus, le taux de pertes est supérieur à celui des greniers traditionnels en argile.

Au lieu d'appliquer des mesures préventives (réparations, amélioration de l'hygiène de stockage), on utilise des substances chimiques comme "produits de protection des stocks" (voir tableau annexe D), la mise en œuvre de produits de traitement des semences, d'insecticides contre la vermine, ainsi que d'autres préparations inadéquates, parfois extrêmement toxiques, étant en l'occurrence tout aussi courante que l'emploi de produits phytosanitaires conseillés pour les stocks.

Comparés aux problèmes de gestion, les problèmes de stockage et de protection des stocks n'ont toutefois qu'une importance mineure, du moins dans le cas de denrées relativement faciles à stocker comme le sorgho.

6.1.2.6 Rentabilité

Interrogées sur cette question, la plupart des banques de céréales déclarent avoir fait des bénéfices. Cette affirmation n'est cependant pas vérifiable en raison du caractère incomplet et parfois extrêmement contradictoire des documents comptables disponibles. Considérant les graves problèmes d'approvisionnement rencontrés, une utilisation moyenne des capacités inférieure à 40 % et une marge bénéficiaire moyenne de 18 % (différence entre le prix d'achat et le prix de vente), il est néanmoins peu vraisemblable que l'on puisse réaliser des bénéfices.

Les coûts fixes, de même que les prix des céréales constituent les principaux facteurs qui déterminent la rentabilité des banques de céréales. Les résultats de la banque de céréales seront d'autant meilleurs que les installations de stockage seront simples, la marchandise stockée de haute valeur, le problème de l'approvisionnement facile à régler et la relation entre prix d'achat et prix de vente avantageuse.

Frais fixes

Les entrepôts modernes et spacieux entraînent des frais fixes élevés (frais d'amortissement et de financement, entretien). Non seulement les frais d'investissement dans un entrepôt en ciment sont très élevés, mais ils ont en plus, à proportion, augmenté davantage au cours des dernières années que les prix des denrées stockées. D'après nos calculs, un entrepôt en blocs d'argile pourvu d'un toit en tôle ondulée revenait en 1978 à 265 000 FCFA. En 1994 (avant la dévaluation du FCFA) il fallait compter pour un entrepôt équivalent au moins 1,3 millions de FCFA pour les seuls matériaux. Pour la période s'étendant entre 1973 et 1983, la F.A.O. a enregistré une augmentation calculée sur la base du mètre carré de surface de stockage - du quadruple ou du quintuple des coûts de construction d'un entrepôt standard simple (CERES 1983).

Prix des céréales

Fig. 16: Evolution des prix du sorgho sur 12 marchés de la région Centre-Nord fin Burkina Faso 1986-1990

SOURCE: GÜNTHER, D. ( 1994 a)

L'exploitation des statistiques de prix sur une période de huit ans révèle des différences de prix très accentuées suivant les saisons. Pour être à même de confirmer ou d'infirmer l'existence de cette tendance, il faudrait continuer, le cas échéant directement sur les marchés de village et sur une période prolongée, d'étudier ces cycles de prix.

On a signalé dans quelques villages que la montée des prix habituellement observée au moment de la soudure à la suite de récoltes médiocres ou mauvaises n'était pas intervenue. Les raisons en sont obscures, le phénomène étant totalement improbable pour une région déficitaire, à moins qu'il soit arrivé sur le marché une aide alimentaire d'un volume assez important.

Autre question, celle du pouvoir d'achat de la clientèle des banques de céréales. Existe-t-il dans la réalité une demande suffisante, compte tenu d'une fourchette de prix pouvant théoriquement atteindre 50 % ? La vente à «prix sociaux» résulte-t-elle avant tout de l'autoperception des banques de céréales ou est-il totalement impossible d'obtenir un prix plus élevé si la banque de céréales entend trouver preneur pour sa marchandise ?

On trouve confirmation des deux types d'hypothèses: la comptabilité exploitable (elle se limite à 13 banques de céréales sur 34) permet d'établir que les prix pratiqués pendant la soudure sur les marchés ruraux ne dépassent en moyenne que de 34,5 % ceux de la récolte. Les banques de céréales, quant à elles, fixent leurs prix à un niveau encore inférieur, puisque la marge brute n'est que de 18 %. Dans leurs études sur des banques céréalières du Sahel, GERGELY, GUILLERMAIN ET LARDEMELLE (1990) ont constaté l'existence d'une marge nette moyenne de 20 %. Certains éléments permettent donc de penser qu'une marge de 50 %, tout au moins dans les régions déficitaires au pouvoir d'achat limité, est irréaliste.

 

6.2 L'approche malienne: les greniers de prévoyance

 

6.2.1 Des banques de céréales fonctionnant sur la base de crédits en nature

Alors que les banques de céréales évoquent en général des entrepôts d'une certaine taille, les «greniers de prévoyance» étudiés au Mali représentent un volume stocké de quelque 5 t par village. Les premières banques de céréales y ont été créées à partir d'une fourniture de 20 t de sorgho au titre de l'aide alimentaire. Cette marchandise a été partagée entre quatre villages, l'objectif étant ici de multiplier ce stock initial et de construire en partant de là des banques de céréales dans d'autres villages. On trouve aujourd'hui 67 banques de céréales, où sont stockées au total 134 t de sorgho et de petit mil.

A la différence des banques de céréales burkinabé examinées par nous, celles du Mali ne sont pas implantées dans des régions déficitaires, mais dans des régions dites «d'équilibre précaire», c'est-à-dire dans des zones où les bonnes et les mauvaises récoltes annuelles sont à peu près équilibrées.

Le système est assez simple et fonctionne selon le principe suivant: les céréales sont stockées dans des greniers collectifs de construction traditionnelle. Le stock initial provient d'un prêt en nature accordé par l'organisation non gouvernementale promouvant le projet et/ou du produit de champs collectifs. Ce stock est ensuite prêté au cours de la soudure à des villageois ayant fait valoir des besoins. Les bénéficiaires remboursent en nature, après la récolte suivante, avec des intérêts de 20 à 30 %.

Un pour cent de la quantité initiale est restitué annuellement à l'organisation non gouvernementale et sert de base à la mise en place de banques de céréales dans d'autres villages. Le fait que les quantités maximales accordées par personne sont fixées à l'avance exclut presque totalement d'éventuels abus dus à la spéculation.

A une exception près, les banques de céréales que nous avons étudiées étaient opérationnelles, circonstance plutôt rare quand on considère la situation d'ensemble des banques de céréales au Sahel. A notre avis, ceci est essentiellement à mettre au compte des facteurs suivants

- Système relativement simple (sur la base de crédits en nature)
- Frais financiers réduits (utilisation de greniers traditionnels)
- Site avantageux (région d'équilibre précaire)
- Haut degré de cohésion sociale de la population
- Bonne continuité au niveau de la gestion
- Encadrement intensif de la part de l'organisation non gouvernementale
- Haut degré de compétence sociale du personnel de cette même organisation non gouvernementale

Alors que la majorité des banques de céréales sahéliennes se plaignent de ce que leurs stocks s'amenuisent constamment (voire disparaissent totalement), les 36 banques de céréales étudiées au Mali ont réussi à faire passer leurs stocks initiaux, 62 t au total, à 91,7 t. On notera toutefois qu'il existe ici des différences marquées du point de vue de la durée d'activité des diverses banques de céréales, puisque les plus anciennes datent de 1985, les plus récentes ayant été fondées en 1992.

En raison de leur mode de fonctionnement, qui est tout autre, les problèmes de ces banques de céréales se différencient bien entendu fortement de ceux du Burkina Faso. Elles sont par exemple à même de surmonter assez facilement les difficultés d'organisation liées aux opérations de prêt et de restitution. C'est ainsi que quelques-unes des banques de céréales ont limité les périodes de distribution à une journée ou à une semaine, de manière à ce que les gestionnaires ne soient pris qu'un minimum de temps et à ce que la marchandise présente une qualité aussi uniforme que possible. En revanche, l'antagonisme des intérêts économiques et des intérêts sociaux n'est pas si facile que cela à résoudre.

 

6.2.2 Points critiques

6.2.2.1 Besoins

On pourrait supposer que dans les années de bonnes récoltes, les greniers familiaux sont bien remplis et qu'il n'y a donc aucune nécessité d'emprunter des céréales, ce qui placerait les banques de céréales devant le problème de devoir stocker leurs réserves jusqu'à l'année suivante, voire deux ans durant, avec l'augmentation des risques de pertes que cela comporte. Pour contourner cet écueil, on pourrait procéder à un échange des stocks anciens contre de nouveaux, ce qui devra être réglé par une sorte d'accord à l'amiable entre les villageois.

Si ce problème n'a pas (encore) fait son apparition dans les banques de céréales maliennes interrogées, c'est parce que les quantités stockées sont en général inférieures à la demande, alors que les besoins, qui sont moindres dans les années de bonnes récoltes, peuvent être satisfaits par les banques de céréales sans qu'il y ait de reliquats de stocks.

6.2.2.2 Finalité des banques de céréales

Les villages dans lesquels les banques de céréales ont été mises en place ne comptent en moyenne que 400 habitants, dont plus de 90 % appartenant à la même ethnie (à titre de comparaison: la majorité des banques de céréales burkinabé que nous avons examinées sont implantées dans des villages de plus de 1 200 habitants). Les conditions préalables à des expériences à l'issue incertaine n'étaient par conséquent pas défavorables.

En dépit de ces conditions favorables, la plupart des banques de céréales n'ont pas réussi à surmonter le conflit d'objectifs entre vocation sociale et finalité économique. Pour quelque deux-tiers d'entre elles, le remboursement des céréales empruntées ne marche pas de façon satisfaisante, ce qui n'est pas toujours à mettre sur le compte de mauvaises récoltes. Dans une bonne moitié des cas, c'est tout simplement l'attitude en matière de remboursement qui ne va pas, bien que cette attitude soit déjà prévisible au moment de la distribution:

"Lors de la distribution, un paysan qui réclame 100 kg, alors que le responsable de la banque céréalière sait pertinemment qu'il n'aura pas les moyens nécessaires de les rembourser mais il les lui donne parce qu'il a peur de lui. C'est un gros problème."

Si la majorité des banques de céréales dispose de mécanismes de sanction, on répugne dans la plupart des cas à leur application rigoureuse, de peur de mettre la paix sociale du village en danger:

"La récupération est difficile par quelques individus de mauvaise volonté. Il faut résoudre ce problème par la patience. Pas d'autre crédit à ceux qui ne remboursent pas. Vu l'humanité il est très difficile de résoudre ce problème. "

6.2.2.3 Stockage et protection des stocks

Il existe au Mali une particularité régionale, à savoir le fait que les greniers traditionnels sont très fréquemment employés pour le stockage collectif. puisqu'ils représentent près de la moitié des installations de stockage. Phénomène typique, ces greniers ont une image relativement négative par rapport aux entrepôts à toiture en tôle ondulée en argile ou en ciment, alors qu'ils sont en général en meilleur état du point de vue de la construction.

En ce qui concerne les banques de céréales étudiées, c'est la population qui a fourni la totalité des matériaux et prestations en rapport avec la construction (matériaux, transport et main-d'œuvre). L'organisation non gouvernementale a uniquement fait don du capital de départ ou l'a prêté (1 à 5 t de céréales).

Dans les greniers en bon état, les pertes devraient se situer en deçà de 3 %, à l'exception des sites où les termites posent des problèmes. Il est effrayant de constater qu'ici également, comme au Burkina Faso, l'utilisation inadéquate de pesticides et autres produits chimiques est largement répandue (voir tableau annexe D).

6.2.2.4 Rentabilité

Au contraire de celles des régions structurellement déficitaires, où les crédits en nature ne peuvent être remboursés que dans les cas exceptionnels de bonne récolte, les banques de céréales accordant des crédits en nature et implantées dans les régions où les bonnes et les mauvaises récoltes s'équilibrent sont par principe viables. L'attribution de crédits en nature répond aux besoins de la clientèle, la gestion est considérablement simplifiée, sans compter que certains autres risques auxquels les banques de céréales sont normalement exposées sont en l'occurrence fortement réduits. Les gestionnaires ont la possibilité de se perfectionner progressivement (par exemple lorsqu'il s'agit à un certain moment de liquider un cumul d'excédents), au lieu de se voir confrontés d'emblée à des exigences qui dépassent leurs capacités.

En raison du caractère incomplet des documents comptables disponibles, il est là encore impossible d'émettre un jugement concret sur la rentabilité des diverses banques de céréales, si bien qu'il nous faut de nouveau recourir à des calculs types.


Table des matières - Précédente - Suivante

CD3WD Project Donate