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5.6.2 Acide cyanhydrique et libération d'acide cyanhydrique

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Les racines de manioc contiennent de l'acide cyanhydrique (HCN), qui est un poison violent. La dose léthale chez l'adulte est d'environ 60 mg d'absorption quotidienne d'HCN (HAHN, 1989). Dû à la forte teneur en HCN des maniocs frais, une alimentation uniforme, essentiellement fondée sur la consommation de ces produits peut être cause d'intoxications, de carences ou de malformations. Ce type de manifestations apparaît notamment lorsque les racines de manioc ont été insuffisamment détoxiquées et quand l'apport en protéines, en particulier l'apport en arninoacides sulfureux, est également insuffisant. Les aminoacides sulfureux stimulent en effet un processus efficace d'autodétoxication déclenché par le corps lui-même (HAHN, 1989).

La concentration d'acide cyanhydrique dans les racines de manioc est fonction de la variété considérée. La teneur peut être limitée à quelques milligrammes seulement, mais peut également dépasser les 300 mg par kilogramme de racines fraîches (HAHN, 1989). L'HCN est par aileurs diversement réparti à l'intérieur de la racine. Les plus hautes concentrations sont localisées dans les couches cellulaires externes, de même que dans la partie supérieure de la racine (HAHN, 1989). Le degré d'amertume de la racine de manioc, que l'on peut déterminer d'après le goût, ne constitue pas une indication quant à la teneur en HCN (LANCASTER et COURSEY, 1984).

On ne trouve pas I'acide cyanhydrique à l'état pur dans les racines de manioc, mais en combinaison avec deux glucosides cyanogénétiques, la linamarine et la lotaustraline. L'HCN est libéré par un processus hydrolytique commandé par une enzyme, la linamarase (COURSEY, 1982). L'hydrolyse intervient systématiquement lorsque l'enzyme entre au contact du glucoside cyanogénétique. La libération naturelle de I'acide cyanhydrique est stimulée par une destruction mécanique des tissus, ou encore par une dissolution des structures cellulaires consécutive au stockage (LANCASTER et COURSEY, 1984).

Il semble que nombre de méthodes traditionnelles de transformation des racines de manioc, ainsi par exemple le broyage, le râpage et le pressage, aient pour objet d'amener le substrat et l'enzyme au contact l'un de I'autre et de stimuler par là même la libération de I'acide cyanhydrique (LANCASTER et COURSEY, 1984).

Le séchage, la cuisson, le trempage prolongé dans de l'eau, ainsi que la fermentation stimulent de même la libération de L'HCN. Ces opérations ont toutefois davantage pour effet de stimuler le dégagement de I'acide cyanhydrique, déjà séparé par l'action enzymatique du glocoside, que de déclencher l'hydrolyse.

Même lorsque les racines de manioc ont été préparées correctement, il subsiste toujours des résidus d'acide cyanhydrique dans les produits de transformation. Toutefois, les concentrations sont en règle générale si minimes qu'elles ne présentent aucun danger pour la santé (HAHN 1989).

5.6.3 Production de cossettes de manioc

La fabrication de cossettes de manioc constitue le procédé le plus simple pour obtenir un produit conservable et apte au stockage à partir des racines de manioc. Les cossettes de manioc servent aussi bien à assurer la subsistance, ce qui est par ex. le cas en Afrique occidentale (STABRAWA, 1991), qu'à procurer revenus et devises, ce qui est notamment le cas en Thailande (COCK, 1985).

Les procédés de fabrication sont toujours calqués sur le même modèle et présentent un degré de mécanisation plus ou moins élevé. Les modifications légères apportées aux méthodes standard résultent dans la production de cossettes présentant des caractéristiques qualitatives diverses, qui reflètent les préférences régionales en matière de demande et de goût. Nous renoncerons ici à énoncer les modifications apportées parfois aux méthodes standard, en raison d'une part de leur nombre et parce qu'elles sont bien souvent très limitées géographiquement, et d'autre part du fait qu'il n'existe que très peu de documents sur le sujet.

Les cossettes ne sont pas seulement produites à partir du manioc, mais également de l'igname. Le séchage des cossettes d'igname requiert davantage d'énergie que celui des cossettes de manioc, ce qui s'explique par la teneur moindre de I'igname en matière sèche. Du point de vue du volume de production, les cossettes de manioc l'emportent largement sur les cossettes d'igname. Du fait que les méthodes de production sont pratiquement identiques, nous ne nous attarderons pas ici sur la fabrication des cossettes d'igname.

5.6.3.1 Préparation des racines de manioc pour la production de cossettes

Les racines de manioc sont pelées immédiatement après la récolte à l'aide des instruments tranchants traditionnels, comme la machette. Le pelage, qui est principalement assuré par les femmes et s'effectue à la main' exige un travail intense. Une femme peut éplucher en une heure entre 20 et 25 kg de racines (SADIK, 1987). Les pertes de poids dues au pelage se chiffrent à 30 % environ du poids frais des racines (ibid.).

Diverses éplucheuses automatiques ont été développées en Afrique de l'Ouest. L'usage de ces machines n'a cependant pas pu se généraliser du fait que le coût d'acquisition en est trop élevé et que ces machines provoquent des pertes de pelage trop importantes (ibid.).

Après le pelage, les racines sont lavées. Lorsque les cossettes sont fabriquées àpartir de maniocs amers, on laisse fréquemment les racines dans l'eau à la suite du pelage. Cette mesure a pour effet de libérer I'acide cyanhydrique, ce qui réduit les risques d'intoxication (JAKUBCZYK, 1982). Afin de libérer une quantité d'acide cyanhydrique suffisante, les racines doivent tremper pendant 2 à4 jours (JOSEPH, année inconnue). On peut également obtenir de bons résultats au niveau de la libération de I'acide cyanhydrique en coupant les racines en morceaux avant de les mettre à tremper. On les laisse alors tremper durant 15 minutes, pour les faire cuire ensuite pendant 2 minutes (JAKUBCZYK, 1982).

Il existe un autre mode de préparation, qui consiste à faire cuire les racines fraîches dans l'eau pendant deux minutes, puis à les couper en deux dans le sens longitudinal et à les mettre à tremper de I à 2 jours dans de l'eau. L'eau de trempage est à changer I ou 2 fois au cours de cette période (ONWUEME, 1978).

Le problème du choix des méthodes à adopter, en particulier eu égard à la supression de I'acide cyanhydrique, n'a pas encore fait l'objet d'études suffisantes.

Les racines de manioc ainsi préparées sont coupées en morceaux en vue du séchage. Si le mode de sectionnement des racines, de même que le volume des morceaux coupés, varie selon les régions, il est également fonction des habitudes alimentaires locales. La taille des parties de racines destinées au séchage dépend également des conditions climatiques. C'est ainsi que les morceaux de racines sont en général plus épais dans le nord du Ghana, qui est une zone plus sèche, que dans le sud du pays (NICOL, 1991).

Le découpage des racines a été lui aussi partiellement mécanisé. Les machines utilisées à cet effet découpent les racines en fines parties, ce qui facilite d'autant plus leur séchage (COCK, 1985).

5.6.3.2 Séchage des cossettes de manioc

Pour une bonne aptitude au stockage, les cossettes doivent être séchées jusqu'à obtenir une humidité résiduelle d'environ 12 % (COCK, 1985). Les cossettes totalement séchées sont blanches et se cassent facilement, sans toutefois s'émietter (INGRAM et HUMPHRIES, 1972). Le séchage est souvent insuffisant, notamment lorsque les cossettes sont destinées à être vendues aussitôt après (lNGRAM et HUMPHRIES, 1972). Dans le cas où le prix est calculé en fonction du poids du produit, une humidité résiduelle plus importante permet à l'offreur de manipuler les prix à son avantage.

Les cossettes préparées sont mises à sécher sur tous les supports possibles et imaginables. On les trouve ainsi sur les toits des maisons, au bord des routes ou dans les cours. On ne connaît pas en Afrique occidentale de construction spécialement conçues pour le séchage des cossettes. Il arrive fréquemment que les cossettes que l'on fait ainsi sécher dans la nature soient souillées par la pluie, le sable et les excréments d'animaux, ce qui peut entraîner des pertes qualitatives lices au manque d'hygiène (JAKUBCZYK, 1982).

Pour le séchage, on exploite dans la plupart des cas l'énergie solaire ou l'énergie éolienne. Il n'est en général pas rentable de recourir à une énergie d'appoint (bois et combustibles fossiles) du fait des coûts élevés que cela entraînerait. Il est cependant fréquent d'accélérer le processus de séchage par un feu de bois ou en exploitant la chaleur perdue d'un foyer (CHINSMAN et FLAGAN, 1987). La fumée qui se dégage en l'occurrence est censée avoir des effets insecticides. Notons cependant que la fumée provoque des altérations parfois indésirables de la couleur et du goût.

La durée de séchage des cossettes est fonction à la fois de leur taille et des conditions climatiques. Dans des conditions optimales, on parvient, en exploitant l'énergie solaire et l'énergie éolienne, à faire sécher intégralement les cossettes dans l'espace de deux jours (COCK, 1985). En règle générale, Le séchage dure toutefois beaucoup plus longtemps, puisqu'il varie fréquemment entre deux et trois semaines (INGRAM et HUMPHRIES, 1972).

Au cours de cette période de séchage prolongée, les cossettes sont souvent infestées par des moisissures et fermentent, ce qui se traduit par une décoloration des cossettes, à l'origine blanches, et une altération du goût. Pour les Adas, une ethnie originaire du Ghana, ces altérations qualitatives intervenant en cours du séchage sont tout à fait souhaitables (NICOL, 1991). Selon les Adas, en effet, les champignons qui se forment sur les cossettes sont le signe d'une faible teneur en acide cyanhydrique, d'où ils concluent que les cossettes infestées par les moisissures peuvent être consommées sans danger par I'homme (ibid.). On ne possède pas jusqu'ici de preuve scientifique établissant que les moississures seraient l'indication de la non-toxicité des cossettes.

Il est fréquent que les cossettes soient brièvement cuites dans de l'eau après séchage, puis séchées de nouveau. Ce processus a pour effet de durcir les cossettes, ce qui est censé permettre une meilleure conservation et réduire la sensibilité aux attaques de ravageurs. Les recherches effectuées sont toutefois parvenues à des résultats contradictoires (STABRAWA, 1991, INGRAM et HUMPHRIES, 1972).

5.6.3.3 Stockage des cossettes de manioc

Les exigences des cossettes de manioc en matière de stockage sont très proches de celles des céréales (COURSEY, 1982). Les cossettes de manioc sont hygroscopiques et ont tendance à se réhumidifier, ce qui favorise la formation de moisissures et, partant, le pourrissement précoce.

Nombreux sont les insectes ravageurs des céréales stockées dans les climats tropicaux à s'attaquer également aux cossettes de manioc (cf. section 5.6.3.4). Les structures de stockage doivent par conséquent offrir d'une part une bonne protection contre la réhumidification, et permettre par ailleurs de prévenir les infestations d'insectes nuisibles. Comme nous l'avons vu dans la section 5.6.3.2, le séchage des cassettes est donc un facteur primordial eu égard au stockage.

Au contraire des tubercules d'igname, pour lesquels on a conçu des structures de stockage spéciales, les cossettes de manioc sont stockées dans des structures utilisées également pour le stockage des céréales et des légumineuses (STABRAWA, 1991). C'est ainsi que les cossettes de manioc sont conservées par exemple dans des corbeilles, des conteneurs de bois ou des sacs, en vrac sur le sol des magasins, ou encore dans divers systèmes traditionnels servant normalement au stockage des céréales (INGRAM et HUMPHRIES 1991). Afin de répondre aux divers besoins en matière de stockage, les paysans utilisent fréquemment plusieurs systèmes de stockage parallèlement (STABRAWA, 1991).

La disponibilité de certains matériaux de construction, le savoir-faire artisanal, l'existence de capitaux et de main-d'oeuvre, constituent des facteurs primordiaux quant au choix de systèmes de stockage définis. Usages culturels et traditions ne revêtent par comparaison qu'une importance secondaire (COMPTON, 1991). On trouve cependant dans beaucoup d'endroits une étroite connexité entre les caractéristiques structurelles de certains systèmes de stockage et les ethnies qui les utilisent. Cette connexité repose en général sur la transmission de traditions artisanales et d'expérience au sein de certaines ethnies. Il ne fait donc aucun doute que cette expérience se transmet et qu'elle est mise à profit par les membres d'autres ethnies, ce qui semblerait indiquer que les paysans ont une attitude relativement positive en matière d'innovations techniques.

Au Togo, on utilise également pour le stockage des cossettes de manioc trois types de greniers traditionnels habituellement employés pour la conservation des céréales.

Le "Kpeou" est un grenier construit en argile ou dans le matériau dont sont sont formées les termitières. Sa forme rappelle celle d'une grosse cruche et il est fréquemment divisé en plusieurs compartiments (figure 16). Ce type de grenier atteint parfois plus de 2 mètres de haut. Le "Kpeou" possède dans sa partie supérieure une ouverture verrouillable permettant l'accès et le remplissage. S'il est relativement coûteux à la construction, le "Kpeou" a en revanche une durée d'utilisation de 20 à 30 ans.

Figure 16: "Kpeou", système de stockage traditionnel des cassettes de manioc (Source: LAMBONI (année inconnue))

Le "Kpeou" est au Togo la seule structure de stockage fermée. Etant donné que ce système n'offre de par sa construction aucune aération, il est indispensable que la marchandise à stocker présente un taux de desssication optimal (pas plus de 12 % d'humidité résiduelle pour les cossettes).

Le "Katchalla" est constitué de bois et de paille. Ce grenier ressemble par sa forme à un cône posé sur son sommet. Il est stabilisé dans sa position par des barres de bois (figure 17). Le "Katchalla" possède en son sommet une ouverture, fermée par un toit, lui aussi de forme conique. Ce type de structure de stockage n'est pas imperméable à l'air, mais offre au contraire une certaine aération.

Figure 17: "Katchalla", système de stockage traditionnel des fossettes de manioc (Source: LAMBONI (année inconnue))

Le "Tonneau", qui est construit sur une plate-forme basse, est effectivement comparable à un gros tonneau. Il comprend un cadre de bois, tendu de nattes tressées. Le "Tonneau" est ouvert dans sa partie supérieure et fermé par un toit de forme conique (figure 18). Ce type de grenier mesure souvent plus de 2 mètres de haut. Il s'agit là encore d'un système ouvert, permettant un échange d'air entre la marchandise et I'environnement.

D'après les études de COMPTON (1991) et de STABRAWA (1991), 60 % environ des cossettes de manioc stockées dans la Région centrale du Togo sont conservés dans des structures de stockage traditionnelles (34 % en "Kpeou", 26 % en "Katchalla"). Les 40 % restants sont stockés sous différentes formes, dont les plus importance sont le stockage en vrac dans des entrepôts ou le stockage en sacs.

Figure 18: "Tonneau" système de stockage traditionnel des cossettes manioc (Source: LAMBONI (année inconnue))

La durée de conservation des cassettes de manioc est de 7 mois en moyenne, bien qu'elle puisse également aller au-delà d'un an (STABRAWA, 1991). Selon d'autres sources, la durée de conservation est de 3 à 6 mois pour les cossettes séchées au soleil, et elle va jusqu'à 12 mois pour les cossettes de manioc cuites à demi ("parboiled"), avant qu'il y a ait apparition d'une forte infestation de moisissures (INGRAM et HUMPHRIES, 1972).

La durée de conservation dépend de très nombreux facteurs, dont l'incidence peut varier fortement suivant les régions. Outre les facteurs naturels, la durée de conservation est également soumise à des facteurs socio-économiques. Au Togo, par exemple, les cossettes destinées à la vente sont stockées durant 7 à 8 mois environ, afin de mettre à profit les fluctuations de prix liées à l'offre. Les cossettes servant à assurer la subsistance sont stockées jusqu'à 12 mois, autrement dit jusqu'à la récolte suivante (STABRAWA, 1991).

5.6.3.4 Pertes de stockage imputables aux insectes ravageurs des stocks

Les insectes ravageurs des stocks infligent des pertes graves aux cossettes de manioc stockées. Ces insectes n'infestent pas seulement les cossettes de manioc, mais également d'autres produits alimentaires et denrées de luxe stockés dans les régions tropicales (HODGES et al., 1985). Selon LAMBONI (année inconue), Prostephanus truncatus (Horn), Dinoderus minutes et Tribolium sp. figurent au Togo parmi les principaux ravageurs des cossettes de manioc stockées à l'échelon des petits paysans.

Prostephanus truncatus (Horn), qui ne s'est manifesté en tant que ravageur au Togo qu'au début des années 80, est aisément confondable avec Dinoderus, qui est lui aussi responsable de dégâts sur les cossettes de manioc stockées (STABRAWA, 1991). Prostophanus trancatus (Horn) est susceptible de causer des pertes de stockage très importantes. Les pertes dénombrées en Tanzanie par HODGES et al. (1985) et à mettre au compte de ce ravageur des stocks à l'issue de 4 mois de stockage atteignaient jusqu'à 50 % sur les cossettes non fermentées et jusqu'à 70 % sur les cossettes fermentées.

Les différences entre les pourcentages de pertes s'expliquent par la différence de densité entre les deux types de cossettes. Les cossettes non fermentées sont plus denses, ce qui fait que le capucin des grains ne peut pas s'y introduire aussi facilement que dans les cossettes fermentées, qui présentent une densité moindre. On ne peut cependant pas recommander à titre de mesure de protection contre les infestations par Prostephanus de produire des cossettes non fermentées, dans la mesure où ces dernières subissent elles aussi de fortes infestations (HODGES et al. 1985).

Les pertes causées par les insectes aux stocks de cossettes de manioc sont très difficiles à quantifier, en raison d'une part de I'absence de méthodes adéquates -le NRI s'efforce depuis quelque temps d'élaborer une approche de solution - et d'autre part du fait que les paysans emploient pour évaluer les pertes causées par les insectes aux cossettes de manioc des critères différents de ceux qu'ils appliquent par ex. au mais. C'est ainsi que dans la plupart des cas, même les cossettes fortement abîmées, ainsi que la farine de forage, sont malgré tout utilisées pour I'alimentation humaine aprés tamisage des insectes (STABRAWA, 1991). Aux yeux des paysans, le principal inconvénient lié aux infestations d'insectes réside dans le fait qu'elles nuisent à la plasticité de la bouillie de manioc par rapport à celle confectionnée à partir de cossettes intactes (COMPTON, 1991). Si l'on considère que la bouillie n'est composée que pour un tiers seulement de farine de cossettes de manioc, la présence d'insectes n'a qu'une incidence limitée sur la consistance de la bouillie (ibid.).

Il est fréquent que les insectes infestent les cossettes dés le stade du séchage (cf. section 5.6.3.2), bien qu'ils puissent également attaquer la marchandise au cours du stockage. Vu que les paysans ne considèrent les pertes causées par les insectes que comme des pertes partielles, il n'existe pratiquement aucune méthode traditionnelle de protection. Les pertes élevées dues en particulier à Prostephanus truncatus (Horn) ont incité dans des cas isolés les paysans àutiliser des produits chimiques pour protéger leurs stocks (COMPTON, 1991). Le choix des produits intervient de manière purement arbitraire et uniquement en fonction de l'offre. Le mode d'action de ces produits et la formation éventuelle de résidus toxiques n'ont pas fait l'objet d'études jusqu'à ce jour, et c'est pourquoi nous ne pouvons formuler ici aucune recommandation quant à ces produits, àleur dosage ou aux méthodes d'application adéquates.

5.6.3.5 Pertes de stockage dues à la formation de moisissures

Les cossettes de manioc sont fréquemment victimes de moisissures dès le stade du séchage. Toutefois, les moisissures peuvent également apparaître lorsque les cossettes se réhumidifient dans le grenier (INGRAM et HUMPHRIES, 1972). En règle générale, les cossettes ne sont pas infestées par une seule espèce de champignons, mais par plusieurs espèces simultanément. On ne sait pas encore avec certitude quels sont les métabolites qui sont produits par les différentes espèces de champignons, ni si les mycotoxines en font partie.

La formation de moisissures ne peut pas être considérée comme une diminution de qualité en soi ou même comme une cause de pertes. Certaines ethnies apprécient en effet vivement la présence de moisissures sur les cossettes et leur attribuent même une amélioration du goût (cf. section 5.6.3.2). Une entreprise belge a effectué au Burundi des essais visant à améliorer les qualités nutritives des cossettes de manioc en provoquant volontairement une infestation de moisissures (JOSEPH, 1986). Si l'on fait exception des diverses préférences régionales en matière de goût, I'infestation des cossettes par les moisissures se traduit en règle générale par une dépréciation. Ceci est notamment le cas lorsque les cossettes sont destinées à la vente. Toutes ces raisons font que l'on ne peut que recommander à l'heure actuelle de bannir la formation de moisissures lors de la fabrication des cossettes.

5.6.3.6 Mesures destinées à améliorer la production et la conservation des cossettes de manioc

L'aptitude au stockage des cossettes de manioc est étroitement dépendant du processus de séchage. Un séchage trop long favorise les attaques d'insectes, ce qui peut entraîner des pertes de stockage considérables. En cas de séchage insuffisant, au contraire, et si l'humidité résiduelle excède 12 % au moment de la mise en stocks, il risque de se former des moisissures. Les moisissures se forment également lorsque les cossettes qui sont hydroscopiques, absorbent une partie de l'humidité environnante au cours du stockage si elles sont insuffisamment protégées contre ce phénomène.

Toute mesure visant à l'amélioration de la production et de la conservation des cossettes de manioc doit par conséquent intervenir d'abord au niveau du processus de séchage. Il faut en même temps veiller à ce que le grenier ou l'entrepôt permettent de protéger la marchandise à la fois contre l'intrusion des insectes et la réhumidification.

Le pelage des cossettes de manioc demande un travail considérable. Les procédés de mécanisation développés jusqu'à présent sont davantage conçus pour le pelage de grosses quantités (par exemple la production de gari) que pour l'utilisation à l'échelon des petits exploitants. Le couteau à éplucher mis au point par l'IITA est une technologie qui permet d'économiser de la main d'oeuvre, n'entraîne qu'un supplément de coût négligeable, améliore considérablement la productivité du travail de pelage et semble ainsi prédestinée à être introduite auprès du groupe cible mentionné plus haut. Ce couteau étant jusqu'ici très peu répandu, du moins au Togo, il serait bon, à titre de mesure destinée à améliorer la productivité du travail, de le soumettre à des essais pratiques. Au-delà, cette mesure contribuerait directement à alléger le travail de la femme, puisque le pelage des racines entre dans son domaine de compétences.

L'augmentation de la surface des cossettes par rapport au volume permettrait d'abréger le processus de séchage. Les grosses cossettes que l'on voit sécher dans beaucoup d'endroits en Afrique doivent être coupées en morceaux plus petits, ce qui améliore les propriétés de séchage. Le principe est en l'occurrence le suivant: plus les cossettes sont petites, plus le séchage est rapide.

Avant de pouvoir recommander des mesures quelconques, il faudrait tout d'abord examiner les facteurs qui déterminent la grosseur des cossettes. Dans l'hypothèse où la grosseur des cossettes serait motivée par des considérations liées à la main d'oeuvre, il convient de voir si l'on ne pourrait pas introduire une technologie permettant d'augmenter la productivité du travail. Il faudra analyser en l'occurrence aussi bien la rentabilité micro-économique d'une telle méthode que son niveau d'acceptation par les populations concernée. On trouve entre autres chez COCK (1985) plusieurs exemples de mécanisation de la production de cossettes par l'utilisation de coupes-racines.

L'énergie solaire était en règle générale la seule source d'énergie employée dans le passé pour le séchage des cossettes. Dû à leur couleur blanche, les cossettes réfléchissent les rayons solaires, dont une partie est ainsi perdue pour le séchage. Comme l'ont montré les essais, l'exploitation de l'énergie éolienne parallèlement à celle de I'énergie solaire permet d'améliorer très sensiblement le séchage (COURSEY, 1982).

Pour ce faire on met les cossettes à sécher sur des cadres de bois garnis de fil métallique. Si les dimensions de ces cadres de bois peuvent varier, il faut néanmoins s'assurer que le cadre reste facile à manipuler, ce qui est le cas lorsque ses dimensions ne dépassent pas 1,5 de long sur 1 m de large. Le fil métallique utilisé pour la garniture des cadres devra être suffisamment serré pour que les cossettes ne puissent pas tomber à travers les mailles. Le cas échéant, on peut substituer au fil métallique d'autres matériaux disponibles sur place, à condition qu'ils soient également perméables à l'air.

Les cadres de bois sont disposés dans un angle déterminé, de manière à ce que les rayons du soleil tombent sur la marchandise et que celle-ci soit ventilée en permanence par les courants d'air naturels (cf. figure 19). Cette méthode permet le séchage optimal des cossettes manioc dans l'espace de 2 jours (COCK, 1985).

Ces cadres offrent par ailleurs d'autres avantages du fait de leur mobilité. C'est ainsi que l'on peut les mettre à l'abri, avec leur contenu, en cas d'averse inattendue, ce qui permet d'éviter la réhumidification des cossettes en cours de séchage et de prévenir par là même les altérations de qualité. Au-delà, le séchage sur cadres présente certains avantages du point de vue hygiénique, dans la mesure où les cossettes ne sont plus en contact avec la saleté des routes et des cours, ce qui est souvent le cas dans les méthodes de séchage traditionnelles.

Les structures de stockage dans lesquelles les cossettes traditionnellement conservées n'offrent pas toujours de protection suffisante contre les insectes nuisibles et la réhumidification. Parmi les structures de stockage traditionnellement mises en oeuvre au Togo, seul le "Kpeou" paraît adapté au stockage des cossettes de manioc (cf. 5.6.3.3), bien que ce type de structure doive lui aussi faire l'objet d'un examen plus détaillé du point de vue de ses propriétés de stockage. A côté de ce système de stockage traditionnel, il existe plusieurs autres types de conteneurs que l'on pourrait éventuellement utiliser pour le stockage des cossettes de manioc. Les ouvrages spécialisés mentionnent par exemple les sacs de plastique. Les tonneaux de plastique et les fûts d'huiles paraissent également adaptés au stockage des cossettes de manioc. Avant de pouvoir formuler ici des recommandations d'emploi de ces conteneurs, il conviendra tout d'abord d'en étudier plus en détail les propriétés de stockage.

On ne dispose pas jusqu'ici de données sûres quant aux méthodes chimiques de protection des stocks de cossettes de manioc. On sait toutefois qu'au Togo, et l'on peut en déduire avec certitude que c'est également le cas dans d'autres pays, que les paysans recourent arbitrairement à des produits chimiques pour la protection des stocks lorsque leurs cossettes de manioc sont infestées par des ravageurs. Le fait que la consommation de cossettes traitées peut comporter des risques très graves pour la santé souligne la nécessité d'effectuer des recherches visant à l'élaboration de recommandations, aussi bien au niveau des produits et de leur mode d'application, qui permettent d'assurer une protection efficace des stocks tout en excluant les risques d'intoxication.


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