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Identification des facteurs favorisant l'apparition d'une pourriture inhabituelle des tiges et des racines de manioc au Togo. Les pratiques culturales en accusation.

Introduction
La maladie
Les causes
La lutte chimique
Conclusion
Bibliographie
Résumé

Bernard Boher, Aklisso Ptcholo et Béré Tchabana

Introduction

Le manioc (Manihot esculenta Crantz), cultivé au Togo sur une surface de 80 000 hectares environ, est la deuxième culture vivrière après le maïs. La culture de cette plante à racines tubérisées se pratique principalement dans les régions du sud et du centre du pays, avec un rendement moyen de 7,7 tonnes à l'hectare. Depuis les années 70, une mortalité importante de plants de manioc due à une pourriture des racines et de la base des tiges a été régulièrement signalée, localisée sur le plateau de Danyi (figure 1), dans le sud-ouest du pays. L'étiologie de l'affection était inconnue quand fut confiée, en 1989, au laboratoire de Phytopathologie du Centre ORSTOM de Lomé, l'étude de cette pathologie inhabituelle du manioc.

La maladie

Figure 1 - Le plateau de Danyi
Le plateau de Danyi (pointillés), au sud-ouest du Togo, est la principale zone du pays, avec certains terroirs des préfectures de Amou et de Wawa, où la pourriture des tiges et des racines de manioc due à Lasiodiplodia theobromae a pris un caractère préoccupant.

Une enquête réalisée en 1989 et reconduite en 1990 sur le plateau de Danyi (figure 1) a confirmé l'importance de cette maladie. Sur 60 champs paysans suivis pendant deux années, 38 ont présenté des symptômes, avec des taux de mortalité atteignant souvent 20 à 30%.

L'extension des prospections aux préfectures voisines de Wawa et de Amou a montré que la maladie y était également présente. Ailleurs, dans les zones de culture du manioc du pays, aucune incidence préoccupante de ce type de pourriture n'a été notée.

La maladie se manifeste principalement pendant les deux à trois premiers mois de la culture sous la forme d'un flétrissement des tiges suivi, le plus souvent, de la mort du jeune plant. Après extraction du sol, la bouture malade révèle une pourriture spongieuse brun-chocolat affectant le cortex et le phloème, les parties les plus externes du xylème sont parcourues de stries longitudinales bleu-noir.

Lorsque la maladie n'a pas conduit à la mort du jeune plant, on peut noter en fin de cycle cultural l'apparition d'une chlorose et d'une défoliation associées à des lésions nécrotiques brunes de la base des tiges, des racines et des tubercules, conduisant à des chutes significatives de rendement.

Plus de 200 microorganismes fongiques et bactériens ont été isolés et purifiés à partir de lésions évolutives sur boutures enterrées.

Parmi ceux-ci, seuls les isolats du champignon Lasiodiplodia (synonyme Botryodiplodia) theobromae (Pat.) Grif. et Maubl. ont produit, après contamination artificielle, les symptômes typiques de la maladie et ont pu être isolés à nouveau des lésions obtenues. Lasiodiplodia theobromae est un parasite à large spectre d'hôtes qui était déjà connu pour attaquer les tiges du manioc en Afrique (Boher et al., 1981, Otim Nape, 1983). Cependant des dégâts d'une ampleur telle que celle observée sur le plateau de Danyi, se manifestant au début du cycle végétatif, n'avaient jamais été décrits auparavant. La définition exacte de l'étiologie de la maladie a ouvert la voie à la recherche de solutions visant à limiter son incidence sur la culture du manioc dans cette région du Togo.

Les causes

Les paysans du plateau de Danyi utilisent en général un mélange de cinq à six variétés où dominent deux clones connus localement sous les noms de Danyémé et Atihé. Les premiers résultats de notre enquête sur le plateau de Danyi ont révélé que le cultivar Danyémé était le plus régulièrement apte à développer une pourriture importante.

Des boutures de variétés locales et de variétés améliorées de manioc fournies par l'Institut National des Cultures Vivrières (INCV) du Togo, ont été plantées en 1990 dans trois zones du plateau à forte pression parasitaire.

Les relevés de mortalité (Figure 2) ont confirmé l'extrême sensibilité à la maladie de la variété Danyémé et la résistance de certaines variétés améliorées introduites.

Figure 2 - Temps après plantation en mois
Le dénombrement mensuel des plants morts (450 plants observés par variété), sur trois parcelles d'essais, dans des zones à forte pression parasitaire du plateau de Danyi, a mis en évidence la grande sensibilité à la pourriture des variétés locales Danyémé et Atihé. Comparativement à ces variétés, la variété introduite (312/524) présente un taux de mortalité faible.

Figure 3 - Taille des lésions
Le classement de 172 variétés testées suivant l'importance de la surface des lésions obtenues après contamination artificielle par un isolat agressif de L. theobromae révèle une grande variabilité dans la résistance qu'opposent les tiges aoûtées de l'hôte au développement parasitaire. De nombreuses variétés présentent un bon niveau de résistance, d'autres, en moins grand nombre, et parmi elles la variété Danyémé, sont favorables au développement du champignon et sensibles à la maladie.

Devant l'inadéquation à la demande locale de ces variétés améliorées (faible aptitude à la préparation de farine, qualités gustatives peu appréciées), la recherche d'une résistance au parasite a été étendue à la collection de variétés de manioc entretenue par l'INCV à Davié dans le sud du pays. Dans ce but, une méthode simple et fiable d'inoculation après blessure de la tige fut mise au point. Le dépôt d'un inoculum fongique dans un orifice fait à l'emporte pièce dans le parenchyme cortical et le phloème de la tige aoûtée est suivi de l'apparition d'une lésion brun chocolat particulièrement visible après élimination de l'écorce. La mesure de la surface de cette lésion 4 jours après inoculation permet d'apprécier rapidement la résistance qu'offrent les tissus d'une variété donnée à la progression parasitaire mais aussi d'évaluer le pouvoir pathogène des isolats du parasite.

Une grande variabilité dans l'expression du pouvoir pathogène, indépendante de l'origine géographique, et qui ne présentait pas d'interaction différentielle avec les variétés de l'hôte a ainsi été mise en évidence. Un isolat agressif de L. theobromae a été sélectionné et inoculé aux tiges de 170 variétés de manioc locales ou introduites, pour évaluer leur résistance au développement parasitaire (Figure 3). Les résultats furent encourageants car les variétés présentant un bon niveau de résistance au développement parasitaire étaient nombreuses. Les variétés sensibles ou très sensibles parmi lesquelles on retrouvait Danyiémé cultivée sur le plateau de Danyi étaient peu représentées. Pour les variétés déjà observées sur le terrain, nous avons pu confirmer la corrélation entre la résistance détectée grâce à notre méthode d'inoculation et la résistance au champ.

L'INCV est chargé de choisir parmi les variétés considérées comme résistantes après contamination artificielle, celles dont les caractéristiques agronomiques et gustatives correspondent le mieux à l'attente des paysans de Danyi, et de confirmer leur résistance in situ.

Contrairement aux autres paysans du Togo, ceux de Danyi enterrent complètement la bouture lors de la plantation. Ce type de plantation pouvait être un facteur favorisant la pourriture. Plusieurs essais visant à comparer le niveau de pourriture apparaissant après enfouissement de la bouture ou suite à une plantation verticale ou inclinée demi-enterrée plus traditionnelle au Togo furent installés en 1991. Aucune corrélation n'a été mise en évidence entre le type de plantation et le niveau de pourriture.

Figure 4 - Durée de conservation des tiges en semaines
La conservation prolongée des tiges (plus de quatre semaines) est un facteur favorable à l'apparition de la pourriture. Dans cet expérience des boutures avant subi une conservation plus ou moins longue ont été placées en chambre humide et la mortalité a été évaluée après un mois d'incubation (150 boutures observées pour chaque traitement).

Une autre particularité locale qui attira notre attention, était la conservation pendant deux à trois mois, des tiges destinées à la replantation, celles-ci étant disposées verticalement, en fagots posés sur le sol, à l'ombre d'arbustes. L'observation de l'apparition de stromas sporifères charbonneux au cours de la conservation indiquait clairement que cette pratique était favorable à une intensification de l'activité parasitaire de L. theobromae. Une expérience simple (Figure 4) mettant en jeu des boutures provenant de tiges fraîches ou de tiges ayant été conservées pendant une période plus ou moins longue a montré l'importance de la durée de conservation comme facteur favorisant l'apparition de la pourriture.

Pour des temps de conservation dépassant quatre semaines on observe en effet l'apparition d'une mortalité importante à la levée, alors que la reprise de boutures maintenues en jauge pendant deux ou quatre semaines n'est pas affectée comparativement à celle de boutures fraîches.

La lutte chimique

Plusieurs fongicides, parmi lesquels le plus efficace fut le bénomyl, sont susceptibles d'inhiber le développement in vitro de L. tbeobromae. Il était tentant d'essayer de recourir à un simple trempage des boutures, dans une solution fongicide, avant plantation, pour réduire l'incidence de cette pourriture. C'est ce qui fut fait au cours d'essais multilocaux sur le plateau de Danyi sans résultats concluants. La contamination artificielle de boutures traitées et conservées dans le sol montra que la courte durée (10 à 20 jours) de protection de la bouture offerte par le fongicide était vraisemblablement responsable de cet échec. La mise en oeuvre de plusieurs traitements n'étant pas entreprise du fait de la difficulté d'atteindre une bouture enterrée, mais aussi en raison de son coût financier, lutte chimique. Dans le but d'obtenir un contrôle plus durable, nous nous sommes alors tournés vers des antagonistes bactériens

présents dans la rhizosphère des plantes, les Pseudomonas fluorescents. Plusieurs isolats furent sélectionnés pour leur aptitude à inhiber le développement de L. theobromae, mais aussi pour leur activité stimulante sur la croissance du manioc. Les essais en conditions contrôlées ont conduit à des résultats significatifs mais qui ne purent être reproduits au champ. A l'avenir, le succès d'un contrôle biologique passe par la recherche de microorganismes mieux adaptés aux conditions agro-pédologiques du Plateau ou par la transformation génétique de microorganismes bien représentés dans la rhizosphère du manioc cultivé dans cette zone.

Conclusion

Trois années de recherche nous ont permis de mettre en 1umière les principaux facteurs responsables de l'incidence élevée de cette pourriture à Lasiodiplodia theobromae sur le plateau de Danyi. C'est l'emploi de variétés sensibles conjugué à la pratique d'une trop longue conservation du matériel végétal destiné à la plantation qui sont vraisemblablement à l'origine du développement de cette pathologie particulière et dévastatrice du manioc dans ce terroir togolais. Une simple modification des pratiques culturales, comme la conservation de matériel végétal sur pied destiné à produire des boutures fraîches, est suffisante pour diminuer significativement l'impact de la maladie. Il conviendrait, grâce aux relais constitués par les structures adéquates du ministère de l'Agriculture, de vulgariser cette pratique en milieu paysan. L'introduction et la vulgarisation de variétés résistantes adaptées à l'agro-écosystème du plateau de Danyi devraient encore améliorer le contrôle et redonner à cette pourriture le caractère marginal qui lui est connu dans les autres régions de culture du manioc. Devant une éventuelle inadéquation des variétés proposées par rapport aux attentes des paysans, la mise en oeuvre d'une production de matériel végétal frais, de bonne qualité, associé à un contrôle biologique efficace, devrait conduire à une réduction de l'inoculum fongique présent dans les tissus et dans le sol. On pourrait alors envisager de continuer à cultiver la variété Danyémé, sensible, mais appréciée par les consommateurs. Outre le fait qu'il a permis de promouvoir des solutions simples à un problème sanitaire du manioc, ce travail de recherche réalisé conjointement entre l'ORSTOM et l'INCV a servi de base à la formation de jeunes agronomes togolais (Ptcholo A., 1991; Tchabana, B., 1992). Ceux-ci ont pu, durant leur stage de fin d'études, mesurer l'importance que revêt le maintien de liens étroits et permanents entre phytopathologiste, améliorateur, vulgarisateur et paysan dans la solution d'un problème comme celui posé par cette pourriture du manioc.

Bibliographie

BOHER, B., DANIEL, J.F,, et F., KOHLER, 1981. Les maladies cryptogamiques du manioc en République Populaire du Congo. Cryptogamie Mycologie 2: 257-268.

OTIM NAPE, G.W., 1983. Pourriture de la tige de manioc due à Botryodiplodia theobromae et méthodes de sélection de variétés résistantes. In: Plantes à Racines Tropicales: Culture et Emplois en Afrique. Actes du Second Symposium Triennal de la Société Internationale pour les Plantes à Racines Tropicales. Douala 14-19.08.1982. CRDI (ed.), 8890.

PTCHOLO, A., 1991. Contribution à l'étude de la pourriture des tiges et des racines de manioc (Manihot esculenta Crantz.) sur le plateau de Danyi. Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade d'Ingénieur Agronome. Université du Bénin, Ecole Supérieure d'Agronomie, 80 pages.

TCHABANA, B., 1992. Contribution à l'étude de Lasiodiplodia theobromae (Pat.) Griff. et Maubl. responsable de la pourriture des tiges et des racines du manioc (Manihot esculenta Crantz) sur le plateau de Danyi. Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade d'Ingénieur Agronome, Université du Bénin, Ecole Supérieure d'Agronomie, 86 pages.

Résumé

Une enquête phytopathologique a confirmé l'importance économique d'une pourriture des tiges et des racines du manioc dans la zone du plateau de Danyi au sud-ouest du Togo. L'agent causal a été caractérisé, il s'agit du champignon Lasiodiplodia theobromae. Si ce parasite à large spectre d'hôtes avait déjà été obersé sur le manioc, des dégâts d'une ampleur comparable à ceux affectant la plante dans ce terroir togolais ne lui avaient jamais été attribués. Les études en conditions contrôlées et sur le terrain ont révélé que l'incidence de la maladie était liée à la sensibilité des variétés cultivées sur le plateau ainsi qu'à la pratique d'une longue conservation des boutures qui favorise la production d'un inoculum important. En majorité, les variétés testées dans la collection nationale togolaise de manioc, se sont avérées être résistantes à cette pourriture. Ces résultats permettent d'envisager de réduire rapidement l'incidence de la maladie en combinant une amélioration des pratiques culturales à l'utilisation de variétés résistantes adaptées à l'agro-écosystèmes du plateau de Danyi.


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