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Le manioc: quelles priorités de recherche pour améliorer la production en relation avec la transformation et la commercialisation?

Introduction
Le manioc dans le monde
Les enjeux de la recherche sur le manioc
La recherche-développement
Des recherches pour de la qualité
Liaisons entre la production et le post-récolte.
Conclusion
Bibliographie
Résumé

Jean-Pierre Raffaillac

Introduction

Les recherches agronomiques sur le manioc se sont intensifiées à partir des années 70 devant la prise de conscience que cette plante aux potentialités élevées pouvait tout à la fois contribuer à assurer l'autosuffisance alimentaire de plusieurs pays, devenir une culture de rente pour l'alimentation humaine ou animale et parfois participer à l'indépendance énergétique en produisant de l'éthanol-carburant. Elles se sont attachées à définir et mettre au point un grand nombre de références techniques permettant d'augmenter fortement la production. Cependant plusieurs d'entre elles se sont bornées à ce seul aspect, sans prendre en compte les contraintes liées à sa transformation et à sa commercialisation. Différents résultats obtenus ne pouvaient alors convenir à la majorité des producteurs car pour cette plante, la qualité de la production est liée aux techniques mises en œuvre pour sa culture; déplus, le manioc entre dans des systèmes de production vivriers restés la plupart du temps très traditionnels.

Après une présentation de la production du manioc au niveau mondial et des enjeux à venir, des exemples montrant l'interdépendance entre des facteurs de production et le domaine post-récolte sont donnés afin de souligner la nécessité d'intégrer à des travaux ciblant l'amélioration de la production d'autres préoccupations.

Le manioc dans le monde

Avec 165 millions de tonnes en 1995, le manioc se situe au 5ème rang des productions végétales alimentaires derrière le maïs, le riz, le blé et la pomme de terre. Cinq pays dépassent 15 millions de tonnes et regroupent 67% de la production mondiale (tableau 1 et figure 1). Elle représente 27% de l'ensemble des productions en racines et tubercules au niveau mondial; cette proportion atteint 56% en Afrique.

Tableau 1 - Pays producteurs de manioc en 1995 - données FAO (poids frais en millions de tonnes)

Nigéria 31,4
Brésil 25,4
Zaïre 18,9
Thaïlande 18,2
Indonésie 154
Ghana 6:9
Inde 6,0
Tanzanie 6,0
Mozambique 0 2
Chine 3,5
reste du monde 28,9

Figure 1 - Répartition de la production de manioc en 1995

On enregistre ces 3 dernières années un accroissement global de la production mondiale (FAO, 1996), résultante de 2 tendances:

Celles des pays de la zone franc bénéficient de la dévaluation du franc CFA. Au Nigéria (1er rang mondial), le manioc profite de l'augmentation des taxes sur le riz importé; l'utilisation de nouvelles variétés polyploïdes performantes est aussi mise en avant pour ce pays.

Les régions productrices

Les régions productrices se situent dans la zone intertropicale à une ou deux saisons des pluies (pluviométrie annuelle supérieure à 600 millimètres, températures supérieures à 13³C). En Afrique, le manioc est surtout présent dans les régions à forte densité de population en zones tropicales de forêts et de savanes (Carter et al, 1992). Le manioc préfère un sol léger, bien drainé, riche en potassium, l'excès d'azote favorisant le développement des parties aériennes. La présence de mycorhizes facilite la nutrition phosphorée. il supporte une forte acidité des sois et des saisons sèches prolongées. Cela permet d'étendre sa culture dans des zones où la production des céréales régresse comme en Afrique australe.

Pour consommer certaines variétés qui libèrent de l'acide cyanhydrique (HCN) à forte dose, plusieurs opérations préalables, associées ou non, telles que rouissage, épluchage, lavage, découpage, séchage naturel et diverses cuissons sont indispensables pour l'éliminer; l'HCN ne constitue un réel problème que pour des populations qui méconnaissent cette nécessité. L'ingestion de manioc amer frais ou insuffisamment transformé entraîne des problèmes sporadiques de santé lorsqu'il est consommé en grande quantité sur de longues périodes, mais très rarement la mortalité (Angola, Mozambique, Zaïre, Tanzanie).

L'intérêt du manioc

Cultivé pour ses racines qui tubérisent sur des cycles variant de 6 mois à plus de 36 mois selon les variétés et les milieux, le manioc produit beaucoup avec d'excellentes conditions de culture. Le rendement potentiel utile est estimé à30 tonnes de matière sèche par hectare et par an (Cock, 1985) et certaines variétés améliorées s'en approchent (Raffaillac, 1996a). Le plus souvent la totalité de la biomasse est exportée car les tiges (40 à 60% de la biomasse) servent au bouturage pour la culture suivante. Il en tire une réputation de «culture épuisante», surtout après défriches. Mais dans la majorité des cas, il est cultivé après d'autres vivriers sur sols apauvris car il peut assurer un rendement quand d'autres plantes ne produisent rien. Au sud du Togo, un rendement sec utile de 4 tonnes par hectare a été obtenu en 10 mois sur un sol cultivé en continu pendant 18 ans sans fertilisant, alors que le mais, l'arachide ou le niébé avaient un rendement négligeable (Eglé, 1992).

Les racines sont pauvres en protéines quelle que soit la variété. Par contre les jeunes feuilles, fortement consommées en Afrique Centrale, constituent une bonne source en protéines. Pour conserver les tubercules frais il suffit de ne pas récolter car la prolongation du cycle quelques semaines au-delà de la date optimale de récolte n'altère normalement pas la qualité, surtout en période sèche. Par contre, il est nécessaire de les transformer dans les 3 jours qui suivent l'arrachage car ils se détériorent rapidement. Les systèmes de culture et de production à base manioc sont très variés. Les complexes agro-industriels sont rares. Si en Asie certains sont économiquement viables, ils n'ont pu subsister avec succès que quelques temps en Afrique: féculeries de Moramanga à Madagascar, usine de Ganavé au Togo. Dans ce dernier cas, la baisse et l'irrégularité des approvisionnements à partir de petites unités familiales ont contribué à sa fermeture, malgré une tentative vaine de les réguler en créant de grandes parcelles mécanisées. Les coûts de production et d'organisation du marché ont fait en partie échouer les expériences tentées en Afrique dans les dernières décennies (CAIEM-Mantsoumba au Congo, SODEPALM-Toumodi en Côte d'Ivoire).

Les systèmes traditionnels, avec peu ou pas d'intrant et sous technologies manuelles, restent les plus courants; la pratique de la culture associée est alors fréquente. La facilité d'obtention d'un produit alimentaire avec un nombre réduit d'interventions sur des sols peu fertiles a favorisé l'extension de la culture du manioc, en particulier à la périphérie d'aires de consommation urbaine, parfois au détriment de plantes plus exigeantes tel que l'igname. Au Nigéria, la recherche agronomique comme technologique sur manioc étant active, des variétés améliorées commencent à être bien acceptées en milieu paysan et l'emploi de fertilisants se développe (Nweke, 1995).

Les objectifs de production

Le manioc est cultivé surtout pour l'alimentation humaine. Seuls les pays asiatiques (Thaïlande, Indonésie, Chine et Viêt-Nam) destinent une grande partie de leur production à l'alimentation animale et à l'industrie. En 1995, les échanges internationaux représentaient 9% de la production mondiale, la Thaïlande, l'Indonésie et la Chine assurant respectivement 74%, 17% et 7% des 14,5 millions de tonnes commercialisés sous forme de cossettes, granulés, amidon ou farine.

Les productions de chaque pays rapportées au nombre d'habitants constituent un bon indicateur global qui souligne l'importance du manioc pour l'Afrique (tableau 2). Parmi les 20 premiers se trouvent 17 pays africains, la Thaïlande étant à part puisque plus de 90% de sa production est exportée.

Tableau 2 - Classement des pays selon leur production de manioc frais par habitant et par an (pour une population > 100 000 habitants). Source FAO, 1996.

  kilogrammes par habitant et par an rang mondial de la production nationale
1. Paraguay 524 12e
2. Zaïre 399 3e
3. Ghana 395 6e
4. Thaïlande 309 4e
5. Nigéria 281 1er
6. Mozambique 261 9e
7. Congo 243 22e
8. Bénin 212 20e
9. Tanzanie 201 8e
10. Madagascar 164 14e
11. Gabon 159 39e
12. Brésil 158 2e
13. Angola 154 17e
14. Libéria 148 28e
15. Ouganda 123 11e
16. Centre Afrique 121 30e
17. Togo 113 27e
18. Côte d'Ivoire 110 18e
19. Cameroun 98 19e
20. Burundi 78 26e

Les enjeux de la recherche sur le manioc

La production de manioc doit s'analyser à travers des enjeux qui sont globalement à l'échelle mondiale:

Sur la base de conditions à la fois politiques, économiques (nationales et internationales) et commerciales adaptées et favorables à la promotion et au développement de la culture du manioc, la recherche-développement s'intéressera alors à:

Une bonne connaissance des systèmes de production dans lesquels s'insèrent les systèmes de culture à base manioc demeure indispensable. En particulier l'importance de la pratique des associations culturales n'est pas à négliger. Il existe souvent un équilibre entre les différentes productions qu'il ne faut pas perturber (sur le plan nutritionnel) en privilégiant le manioc.

L'intégration des multiples domaines de compétences issus des diverses structures de recherche à l'ensemble de la filière manioc devrait permettre d'aller plus rapidement aux problèmes essentiels pour les résoudre durablement ensemble. C'est l'objectif que s'est fixé PROAMYL (Cf la présentation dans ce dossier) en réunissant tous les aspects de la production aux domaines de la transformation et de la commercialisation.

La recherche-développement

Selon la nature des systèmes de culture et de production, les priorités de la recherche agronomique vont varier. Elles dépendront à la fois:

Les recherches sur la production de manioc peuvent être classées globalement en trois catégories (avec des recouvrements possibles):

Des recherches pour de la qualité

Quelles recherches faut-il privilégier sur la production pour satisfaire les préoccupations de la transformation et de la commercialisation?

Le tableau 3 dresse la liste des caractéristiques de qualité prises en compte sur la racine tubérisée de manioc en relation directe avec le domaine post-récolte. Pour l'amélioration de chacune d'entre elles, un domaine particulier de la recherche agronomique peut soit déjà apporter des éléments de réponse disponibles dans les études faites depuis des décennies, soit être développé.

Tableau 3 - Les principaux critères de qualités recherchés sur le manioc entre production, transformation et commercialisation

Caractères retenus sur les tubercules produits objectifs transformation et commercialisation domaines de recherches agronomique concernés
1. hétérogénéité des poids entre tubercules
  • épluchage: réduire les pertes et la durée.
  • vente des tubercules frais
amélioration variétale, techniques culturales
2. morphologie: forme, longueur, diamètre et constrictions
  • épluchage: réduire les pertes et la durée.
  • vente des tubercules frais
amélioration variétale et fertilité des sols
3. couleurs du phelloderme et du cylindre central aspect des tubercules et des produits finis amélioration variétale
4. teneur en fibres
  • usinage
  • acceptabilité des produits finis
amélioration variétale, durée du cycle
5. teneur en eau(ou densité volumique)
  • facilité de transformation
  • acceptabilité des produits finis (qualité organoleptique)
amélioration variétale, fertilisation potassique, calage des cycles culturaux et climatiques, agrophysiologie
6. teneur en HCN acceptabilité des produits finis (au plan nutritionnel) amélioration variétale, calage du cycle cultural sur le cycle climatique, agrophysiologie
7. teneur en protéines
  • valeur nutritionnelle (par enrichissement protéïque)
  • consommation des feuilles
agrophysiologie (emploi des feuilles), transformation
8. taille des grains d'amidon
  • utilisation industrielle de l'amidon (diamètre>8µ)
  • procédés traditionnels
amélioration variétale, durée du cycle, calage des cycles culturaux et climatiques, agrophysiologie

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