Back to Home Page of CD3WD Project or Back to list of CD3WD Publications

3. Quelles leçons tirer de ces experiences pour les chercheurs?

Table des matières - Précédente - Suivante

La présente communication s'est volontairement limitée aux marchés urbains et aux entreprises de 1ére transformation pour mieux faire apparaître les éléments fondamentaux qu'à notre sens un chercheur devrait prendre en considération.

Il nous parait primordial de relever qu'il faut d'emblée chercher à savoir sur quelle filière porter l'innovation: le marché urbain est en effet segmenté. En outre il nous parait indispensable de prendre en compte l'évolution des données de base: certaines tendances lourdes ne peuvent être contournées.

3.1 Le Marché urbain est segmenté

Il n'existe pas un marché mais des marchés pour les farines, semoules et brisures de céréales locales; on peut distinguer trois principaux cas:

A) - Les ménagères qui disposent d'un pouvoir d'achat élevé, habituées à acheter des céréales importées sont à la recherche de produits transformés de qualité au conditionnement moderne, affichant les dates de fabrication et de péremption. Elles sont en majorité instruites et ont un emploi salarié. Généralement, soucieuses de l'hygiène et de la qualité, elles achètent plutôt les produits transformés sous forme de sachets ou disposent à la maison de domestiques chargées de la transformation du mil, du mais ou du sorgho. Cette catégorie de femmes a recours à la transformation industrielle. Lorsqu'elles ont recours à la transformation artisanale, elles le font par le truchement des domestiques.

En plus des ménagères il convient d'examiner le cas d'une catégorie de clients particuliers; il s'agit des restaurateurs, des casernes, des hôpitaux, des brasseries, des biscuiteries, des boulangeries et toutes autres structures qui procèdent à une deuxième transformation des produits examinés ci-dessus. Ces consommateurs sont à la recherche de produits de qualité à un prix stable conditionnés en sacs et non plus en sachets. Ils constituent un débouché sur pour les mini-minoteries ou les grands moulins.

B) - Les ménagères salariées ou commerçantes qui disposent de pouvoir d'achat moyen recourent aux services des moulins de quartier ou s'approvisionnent en produits déjà transformés et vendus en vrac sur le marché. Certaines clientes refusent cependant d'acheter les farines, semoules et brisures vendues sur le marché. Elles doutent de la qualité de ces produits et accusent les vendeuses de procéder à des mélanges (ex. farine du jour mélangée avec de la farine rancie). Les vendeuses quant à elles achètent elles-mêmes leur mil et suivent tout le processus artisanal de transformation avant de se rendre au marché du quartier pour la vente. Ce doute qui plane sur la qualité de leurs produits empêche un développement spectaculaire de ce marché intermédiaire entre la transformation réalisée par la ménagère et l'achat de sachets de produits finis. L'innovation au niveau de cette filière particulière pourrait consister en la conception d'un conditionnement adapté au vrac, assurant toutes les exigences en matière d'hygiène, de conservation et de qualité afin de développer un marché pour l'achat de farines et semoules en vrac. Une telle action pourrait être menée avec une unité semiindustrielle qui en amont assurerait aux vendeuses la quantité et la qualité recherchées.

C) - La grande masse des ménagères se rend encore aux moulins de quartier pour décortiquer et moudre des céréales qu'elle a préalablement nettoyées et séchées. Elle n'évalue pas son propre effort et obtient de ce fait un produit transformé (avec la finesse désirée) au moindre coût. Ce recours aux moulins de quartier permet en effet de choisir le type de mouture: à sec ou humide.

Le chercheur doit donc identifier le segment de marché sur lequel il voudrait porter un appui et seulement après rechercher quelle forme d'appui serait la plus adaptée. Il ne s'agit pas de parachuter une innovation mais de partir des besoins des consommateurs pour aboutir à l'innovation. Cet effort d'identification doit également prendre en compte l'évolution des modes de consommation ainsi que celle de la population.

3.2 Les Tendances lourdes

L'objectif ici n'est pas d'obliger le chercheur à entreprendre avant toute action une étude complète sur l'évolution de la consommation mais de compléter l'identification effectuée ci-dessus avec une prise en compte de quelques données de base.

Ainsi pour un pays comme le Burkina il convient de prendre en compte le taux d'accroissement de la population (3%/an) mais également le taux d'accroissement des villes qui est de l'ordre de 10%/an, soit plus du double de celui de la population. Cela revient à dire que même pour ce pays qui a un des taux d'urbanisation les plus faibles de la sous-région, les citadins représenteront à l'horizon 2010, au moins 40% de la population totale contre 15 à 16% en ce moment. Voilà le type de données que nous qualifions de tendance lourde que le chercheur ne peut négliger dans la mesure où une relation directe existe entre le mode d'alimentation et les caractéristique de la population.

Une autre tendance lourde concerne, la proportion des jeunes dans les populations sahéliennes, les jeunes âgés de moins de 20 ans constituent plus de 50% de la population dans tous les pays. On peut tirer de ce phénomène la nécessité de prendre en compte pour toute recherche dans le secteur agro-alimentaire, les besoins, les goûts et le mode de vie des jeunes. Il importe même de pouvoir dès à présent esquisser les comportements futurs des jeunes d'aujourd'hui.

En résumé, le chercheur doit se persuader qu'intervenir dans le secteur agro-alimentaire au Sahel c'est d'abord faire un choix: quel modèle de consommation, quel segment du marché, quel type de produits, quelle filière de transformation veut-il privilégier ?

A partir des facteurs de réussite ou d'échec des initiatives menées sur le terrain, nous pouvons cependant recommander aux chercheurs deux principes:

- Partir du consommateur pour mener toute réflexion
- Adopter une logique qui ne soit pas en contradiction avec celle du secteur privé.

3.3 Partir du consommateur

Les consommateurs finaux ou intermédiaires constituent la finalité de toute action de création ou de promotion des produits alimentaires. Il convient donc de partir d'eux, pour engager toute action d'innovation. Les besoins, les goûts, le pouvoir d'achat, les exigences du consommateur doivent être intégrés au processus de réflexion, pour réduire les risques d'échec. On peut illustrer ces propos avec l'exemple des sachets de farine de maïs lancés par une minoterie moderne de la sousrégion. La finesse et la qualité de la farine étaient reconnues par tous les spécialistes; cependant le produit a été un échec commercial car il ne permettait pas aux consommateurs de réaliser leurs plats traditionnels: la farine était trop fine !

3.4 Adopter une logique compatible avec celle du secteur privé

Ce principe fait partie des évidences qu'il faut cependant rappeler. En effet toute innovation ne peut se diffuser, ne peut être durable que si elle est rentable pour l'unité de transformation. Celle-ci demeure avant tout une unité économique. Lorsque les promoteurs d'une innovation par suite d'abondance de subventions vont à l'encontre de ce principe, l'activité ou le produit lancé cesse d'exister dès la fin de la "perfusion" administrée par les promoteurs.


L'évolution de la consommation et ses conséquences sur le développement agroalimentaire

Nicola Bricas
Centre International de Coopération en Recherche Agronomique pour le Développement, Montpellier, France

Abstract

Consumption trends and their impact on agrofood development.

The two main challenges facing the Sahelian countries are urban food demande on the one hand, and international agro-food trade liberalisation and biochemical engineering developments on the other.

In the past, technologies have been studied in research and development institutions for the use of maize, millet, and sorghum fleurs in European-type fonds such as bread, pasta, and biscuits, with limited commercial success. More recently, the traditional 'home-made' fonds have appeared on urban markets and are increasingly diversified, illustrating the local capacity for innovation.

Action must be taken to support these initiatives as they provide for income, employment, and sustainability of local food crops. Selection and training of promoters, and selection or design of small-scale processing equipment, some of the actions that should be included in an overall government stratgy to foster the initiatives, are not always well defined.

La problematique du developpement agro-alimentaire en Afrique peut se resumer schematiquement a deux grands enjeux:

a) La mondialisation des échanges de produits agricoles, le ralentissement de la consommation alimentaire dans les pays industrialisés et les avancées technologiques du génie chimique et biologique tendent à faire perdre aux produits tropicaux leurs spécificités. On sait désormais faire du sucre à partir de céréales, synthétiser bientôt des substituts aux aromes ou agents de texture exotiques, reconstituer des aliments à partir de composants primaires, etc. Cette évolution constitue un défi pour l'avenir de nombre de produits africains d'exportation, dont la place sur le marche mondial est déjà en régression avec la montée de pays agricoles d'Asie ou d'Amérique du Sud.

b) Le second enjeu est lié à l'évolution même de l'Afrique et, en particulier, à son urbanisation. Hier encore essentiellement rural, ce continent connait aujourd'hui une croissance urbaine sans précédant. Dans 20 ans, une partie importante de la population sera née et aura grandie en ville. Les conséquences de ce phénomène sont déjà observables: demande alimentaire urbaine et offre agricole rurale se décalent progressivement. Les villes tendent à se nourrir grâce aux importations (riz et blé par exemple); la production agricole cherche avec peine un débouché sur le marche urbain (maïs cette année au Mali et Burkina). Si ce décalage trouve son origine dans les conditions historiques et politiques du développement urbain, il souffre aujourd'hui de la faiblesse des réponses apportées à l'adaptation de cette production au marché. La recherche agro-alimentaire est encore balbutiante pour la valorisation du vivrier local face aux évolutions rapides de la demande. C'est à ces dernières questions que nous nous intéressons ici.

Pour contribuer à la réflexion sur l'orientation des recherches que pose ce second enjeu, il est nécessaire de s'interroger sur les conditions d'évolution de la demande alimentaire urbaine, sur ses déterminants et ses conséquences. Notre analyse porte plus particulièrement sur les céréales dans les pays du Sahel. Pour ces produits et dans ces pays, le défis urbain et la sécurité alimentaire posent, en effet, des problèmes d'autant plus aigus que cette région est soumise à de forts aléas climatiques.

Quelles sont les tendances d'évolution de la consommation et ses déterminants dans cette région?

Quelles sont les tentatives de valorisation des produits locaux apportés jusqu'à présent? Sur quel type d'entreprises peut s'appuyer un développement agroalimentaire? Telles sont les trois principales questions que nous voulons poser ici.

1. Les tendances d'evolution de la consommation alimentaire

S'appuyant sur les calculs statistiques de bilans de disponibilité alimentaire, de nombreux observateurs ont conclu que la dépendance alimentaire résultait en grande partie d'un changement des habitudes alimentaires, notamment en ville. Les consommateurs préféreraient ainsi le riz et le blé importés aux céréales locales pour diverses raisons: le goût, la facilité d'utilisation, le prestige, la disponibilité. Derrière ses explications se trouve en fait l'hypothèse d'une tendance au mimétisme ou à l'imitation des modèles alimentaires africains vis-à-vis de modèles occidentaux. L'analyse des résultats d'enquêtes auprès des ménages révèle des comportements plus nuancés. Interrogés sur leurs motivations, les consommateurs expliquent en effet qu'ils cherchent davantage à diversifier leur alimentation plutôt qu'à préférer des produits étrangers. Cette diversification s'observe à la fois dans la nature des aliments consommés et dans les pratiques même de consommation: développement de la restauration et de l'alimentation de rue par exemple. Cette tendance a deux conséquences importantes:

La première est que les produits locaux, et notamment les céréales, ne sont pas rejetés par les consommateurs, même lorsque ceux-ci sont urbanisés de longue date. Dans le Sahel, mil et sorgho sont ainsi associés à des images positives de qualité nutritionnelle, de symboles de tradition et continuent, de ce fait, à être appréciés. Dans les zones, en particulier rurales, ou ces céréales sont consommées à tous les repas, la tendance est cependant de les alterner avec des produits permettant d'autres plats: le blé sous forme de pain le matin, le riz sous diverses formes de plats non traditionnels à midi. A l'inverse, dans les zones, notamment urbaines, où le riz a acquis une place trop prépondérante dans la ration, la tendance est à l'éviter à au moins un repas. Il s'agit alors de varier avec d'autres plats, y compris, mais pas seulement, à base de céréales locales (ragoûts, grillades, fritures, etc.).

La seconde conséquence de la diversification est que le choix de la base alimentaire ne s'effectue plus uniquement en terme de céréales. Les régions de savane et de forêt comme en Guinée, ont un régime où alternent céréales et racines ou tubercules (manioc, igname, patates douces). Ces derniers produits se retrouvent dans le sud du Sahel, au sud du Mali ou du Burkina par exemple, ou ils constituent un moyen de diversifier les repas.

En complément des produits de base, I'huile, la viande et le poisson voient leur part s'accroître dans la consommation, en particulier en ville. A Dakar ou à Bamako, certains plats du soir sont ainsi préparés à partir de grillades de viande accompagnées de légumes.

Si la diversification apparait comme une stratégie des consommateurs, encore faut-il que ceux ci aient les moyens de la réaliser. Les facteurs de prix et de disponibilité des produits jouent un rôle déterminant dans le comportement réel des ménages. Jusqu'à présent, ces facteurs sont restés relativement défavorables aux produits locaux. Le riz et le blé sont largement disponibles sur les marchés depuis plusieurs décennies alors que l'offre en mil, sorgho, fonio et mais demeure fluctuante tant en quantité, qualité, que prix. Il n'est guère étonnant dans ce contexte que les consommateurs aient été fidélisés aux produits importés.

A moins d'une volonté politique traduite en actes pour relancer les produits locaux, on doit s'attendre à ce que la part des riz et blé continue d'augmenter dans la consommation en particulier en milieu rural. Dans les villes, et la ou les produits importés sont devenus largement majoritaires dans la ration, une reconquête des marches pour les produits locaux apparait possible. Elle suppose cependant diverses mesures incitatives à différents niveaux.

1/ Quelle protection des produits locaux vis à vis de leurs concurrents importés?

Le prix des produits constitue, pour de nombreux observateurs, le facteur déterminant du choix des consommateurs. Dans plusieurs pays, le prix de vente des produits importés est inférieur à celui des produits locaux supposés concurrents. Ceci expliquerait, pour l'essentiel, la préférence pour le riz.

Plusieurs enquêtes menées auprès des ménages montrent cependant les limites d'un tel raisonnement:

Il faut tout d'abord rappeler que la ménagère choisie ses denrées alimentaires en fonction du plat qu'elle compte préparer. En règle générale, dans les pays du Sahel, la base céréalière ne représente guère plus de la moitié du coût de revient du plat. En ville, ce rapport est plutôt voisin de 30 à 40%. Comme le disent ellesmême les ménagères, "dans un plat, c'est la sauce qui coûte cher". De ce fait, s'il y à comparaison à faire entre céréales locales et céréales importées, c'est au niveau de coût de revient du plat qu'il convient de raisonner. Ainsi, on constate que des plats à base de riz peuvent revenir plus cher que des plats à base mil, même si cette dernière céréale est plus coûteuse que le riz. La concurrence entre plats dépend du repas considèré et des disponibilités monétaires du ménage.

D'autre part, on ne peut aborder le problème du facteur prix sans mettre en parallèle la question des modalités d'acquisition des produits. Dans de nombreux cas, ces modalités sont différentes selon les céréales: certaines sont achetées à crédit, en demi-gros sur un budget directement géré par le chef de ménage: c'est souvent le cas du riz; d'autres sont acquises au comptant, au détail, sur un budget fractionné géré par la ménagère: c'est le cas du mil.

La seule comparaison des prix des céréales ne suffit donc pas à expliquer le choix des consommateurs Selon leur niveau et la régularité de leur revenu, selon leur degré de diversification des plats au cours de la journée ou de la semaine alimentaire, selon le coût des ingrédients de sauce, selon le coût d'opportunité du travail domestique de la ménagère et des ses aides, ce facteur prix joue différemment.

Cette complexité du facteur prix signifie qu'une simple analyse des prix moyens de produits jugés concurrents à priori ne suffit pas à conclure que l'environnement économique est défavorable à une relance des produits locaux. Des analyses plus fines portant sur les comportements d'acquisition des denrées, leur combinaison et préparation sous forme de plats, les pratiques de consommation et d'organisation des repas, etc., montrent qu'existent des créneaux porteurs pour le vivrier local. Si une protection des produits locaux vis à vis des produits importés réellement concurrents s'avère, dans certains cas, nécessaire, il n'empêche que le marché urbain offre déjà bien des opportunités de débouchés pour la production agricole locale.

2/ La Regulation de l'offre en produits locaux

Un second aspect du facteur prix mérite d'être davantage pris en considération: celui de la régulation de l'offre. La pénétration du riz et du blé dans les régimes alimentaires africains a ainsi incontestablement bénéficié de la stabilité de leur disponibilité sur le marché, tant en quantité, qualité que prix. Les efforts déployés par les Etats pour assurer un ravitaillement régulier de ces denrées sont sans commune mesure avec ceux consacrés à la régulation du marché des céréales locales. Ces dernières sont vendues à des prix très variables selon les saisons, à des qualités souvent très hétérogènes et en des quantités étroitement dépendantes du niveau de production dans chaque pays, c'est à dire fort variable.

Dans ce contexte, les consommateurs ont été fidélisés aux riz et blé importés. Dans les grandes villes saheliennes, le riz est ainsi passé au rang de produit de «ration". Il est souvent achèté à crédit chaque mois ou quinzaine sur le budget salarial. Le mil ou le sorgho tendent à être relégués au rang de céréales plus occasionnelles. Ils sont achètés sur la "dépense", c'està-dire au quotidien, selon les disponibilités monétaires du ménage après les achats de la ration.

En milieu rural, pendant la période de soudure, les achats de céréales apparaissent positivement corrélés à un déficit céréalier des ménages de producteurs. Dans ce cas, le riz est généralement la seule céréale disponible. C'est du moins la seule céréale facile à préparer pendant cette période de travaux agricoles. Durant celle-ci, la disponibilité du temps de travail domestique des femmes devient en effet un facteur essentiel du choix des denrées.

Pour les industries alimentaires, les aléas de l'offre en céréales locales rendent relativement risqués des investissements dans le secteur de leur transformation. La plupart des entreprises qui s'y sont essayées rencontrent de grosses difficultés d'approvisionnement en matière première.

De ce fait, sans pouvoir garantir une régularité de l'offre sur longue période, il semble difficile pour les produits locaux transformés de reconquérir des marches fidélisés aux riz et blé. Un effort est à faire dans ce domaine tant dans la continuité des actions de lancement de nouveaux produits que dans la recherche de relations contractuelles avec les commerçants et les producteurs. S'assurer d'un approvisionnement régulier suppose aussi de pouvoir recourir plus facilement à l'offre des pays voisins.

Cela dit, la mise sur le marche urbain de produits locaux, vendus à prix compétitifs et régulés, ne suffit pas à garantir leur diffusion. Encore faut-il que ceux ci correspondent, aux nouvelles conditions de la demande. Comment ont été orientées les actions de valorisation agro-alimentaire jusqu'à présent et que peuton en penser en fonction des connaissance sur la consommation?

2. Les orientations de la valorisation agro-alimentaire des produits locaux

Jusqu'à aujourd'hui, la transformation des denrées locales reste quasi exclusivement le fait d'activités domestiques. Avec l'urbanisation, sont apparues sur les marchés et dans les quartiers, des activités de production d'aliments prêts à cuisiner (farines, semoules, couscous précuits, granules, etc.) et de préparation de plats et snacks destinés à la vente (beignets, bouillies, bières et divers plats). Ces activités sont le fait de femmes travaillant à domicile, régulièrement ou sur commande, et de restauratrices. Les techniques utilisées restent cependant celles du travail domestique. A part l'utilisation des moulins de quartier, les outils restent manuels et ne permettent pas de traiter de grandes quantités. L'offre en produits transformés est multiforme, décentralisée et parcellisée, et le marché se caractérise par des relations personnalisées avec la clientèle.

Ce secteur d'activité, pourtant fort innovant a, la encore, été marginalisé par la Recherche. Bien que de moindre ampleur sur les aliments locaux que sur les produits d'exportation, des travaux de mise au point de produits ont été développés depuis les années 60. Deux principales approches ont été jusqu'à présent privilégiées:

1/ Les ersatz de produits importes

La première approche consiste à "tropicaliser" des produits importés. Il s'agit à, par exemple, d'incorporer du mil, du sorgho ou du mais dans des aliments habituellement à base de blé: pain, pâtes alimentaires. Plus des 3/4 des recherches agro-alimentaires sur la transformation des mil et sorgho ont ainsi été consacrées à cette orientation. La quasi totalité d'entre elles ont, de plus, privilégié la filière industrielle. Dans le même esprit, la recherche s'est orientée vers la transformation de mais ou sorgho pour l'obtention de produits de formes similaires au riz: le "riz de maïs" ou "le riz de sorgho". Les résultats sont décevants.

En Afrique, aucun de ces produits ersatz n'a débouché sur une réussite commerciale. Ces échecs tiennent à diverses raisons: la difficulté de maintenir une qualité du produit final comparable à celle du produit de référence rend nécessaire l'utilisation de procédés et équipements complexes de type industriel. Les unités ayant tenté l'expérience se sont toutes retrouvées confrontées à de grandes difficultés de fonctionnement avec les filières locales de commercialisation. Les consommateurs ont généralement boudé les produits qu'ils considéraient comme de qualité inférieure à celle des produits de référence. Seules des subventions massives, mais difficilement reproductibles à long terme, auraient peut-être permis de promouvoir ces produits.

Au delà du constat de l'important décalage entre les moyens mis en oeuvre et les résultats commerciaux, divers observateurs dénoncent le caractère éthnocentrique des orientations de telles recherches (Miche, 1982 ou Sautier et al., 1989). Ces derniers défendent ainsi que "l'accent mis sur les farines composées à incontestablement marginalisé les recherches sur l'amélioration des procédés autochtones et sur la mise au point de produits originaux".

Les procédés et équipements étant désormais au point, on peut cependant penser qu'il existe quelques créneaux pour ce type de produits. Il s'agit notamment des aliments pour lesquels des exigences organoleptiques des consommateurs sont moins fortes. Il importe néanmoins de chercher à se démarquer des produits de référence en présentant ces produits avec une image différente de celle d'ersatz.

2/ L'industrialisation des aliments traditionnels

La seconde approche, nettement plus récente, consiste à mécaniser la fabrication de produits traditionnels. Il s'agit alors de mettre sur le marché des aliments prêts à cuisiner et d'améliorer et standardiser leur qualité. L'état d'avancement des travaux dans ce sens est encore bien modeste. Pour l'heure, ces produits se limitent aux farines et semoules séchées de mil, sorgho, mais ou manioc, que l'on commence à trouver en sachets plastiques dans quelques villes saheliennes.

Les premiers résultats du lancement de ces produits sont encourageants. Cela dit, l'image associée à ces "nouveaux" aliments dans les campagnes publicitaires insiste sur leurs valeurs traditionnelles. Or on peut se demander si ce choix ne contribue pas, en fait, à enfermer les produits locaux dans une image de tradition dont les consommateurs souhaitent, au moins partiellement, s'affranchir. Il reste un effort à fournir pour innover, tant sur les produits que sur les plats qui peuvent leur être associés. Il reste à imaginer d'autres formes de distribution, par exemple par le biais de la restauration, d'autres images que celles trop classiques ou timides actuellement proposées.

Pour les céréales, les produits de seconde transformation, c'est à dire qui mettent en oeuvre des farines et semoules, font encore l'objet de peu de recherches. On peut cependant citer quelques expériences en cours: l'adaptation de procédés et équipements conçus pour le blé à la fabrication de produits granulés (couscous, etc.) à base de céréales sans gluten (Benin, Sénégal); les essais d'étuvage de sorgho (Mali); l'utilisation de malt de sorgho en brasserie (Nigéria); les flocons de pâte de maïs (Cameroun); les farines infantiles à base de céréales locales (Benin, Burkina, Rwanda, Burundi, etc); les aliments précuits de petit déjeuner (Nigéria); les beignets et galettes de mais nixtamalisé selon le procédé traditionnel mexicain (Sénégal), les billes de mais extrudé (Nigéria).

Ces quelques exemples montrent à quel point le champ des possibles est ouvert. Ils montrent aussi que l'observation plus systématique et les échanges et adaptations des technologies et produits couramment utilisés dans divers pays pourraient, en ce sens, ouvrir d'intéressantes perspectives de travail.

Aujourd'hui les connaissances sur la consommation alimentaire permettent de mieux entrevoir les orientations pour la recherche agro-alimentaire. Mais il reste à poser la question du type d'entreprises sur lesquelles peut s'appuyer le développement de ce secteur.

3. Le role des differents secteurs agro-alimentaires

Les politiques sectorielles d'industrialisation agroalimentaire, ont privilégié jusqu'à présent les entreprises centralisées et à forte intensité en capital. Pour répondre à la demande urbaine, ces industries apparaissaient plus à même d'offrir rapidement des produits adaptés en quantité et qualité. Les techniques et procédés de transformation étaient au point. Limitées à une ou deux entreprises par pays, le nombre restreint d'interlocuteurs simplifiait les relations de partenariat avec les pouvoirs publics. Diverses expériences de transformation des produits vivriers locaux ont ainsi été tentées en Afrique. Les résultats sont décevants: les unités n'ont fonctionné qu'épisodiquement et leur capacité reste largement sous-utilisée. Le principal problème rencontré est celui de l'approvisionnement en matière première, du fait du caractère fluctuant des quantités et qualités des produits commercialisés.

Ce constat conduit aujourd'hui à reconnaître l'importance et la dynamique du secteur artisanal et à envisager sa prise en compte dans des actions de promotion des produits locaux. Quelques questions méritent d'être soulevées à ce propos.

En comparaison avec le secteur industriel, l'artisanat estil à même de contribuer à fournir des aliments à plus faibles coût? Le problème se pose notamment pour les céréales locales, pour lesquelles on dispose désormais d'équipements et procédés de transformation tant à petite que grande échelle. Notons tout d'abord que dans la transformation de ces produits et, en particulier, dans ses premières étapes, la valeur ajoutée reste faible et le prix des produits finis est largement dépendant du coût de la matière première. De ce fait, les grandes unités ne permettent des économies d'échelle que de faible ampleur. Ces économies sont compensées, dans l'industrie, par une série de coûts liés à la gestion centralisée des approvisionnements et de la distribution. Les marges prises par les différents intermédiaires et le coût du stockage conduisent à un prix de vente au détail du produit fini souvent plus élevé que celui du secteur artisanal. Du fait de son caractère décentralisé, celui-ci raccourci en effet les circuits. Ainsi dans les ateliers en prestation de service, le coût de revient du produit fini se limite au coût du grain brut + le coût direct de transformation.

La diffusion de petits équipements en milieu rural pose le problème de l'environnement technologique nécessaire à leur fonctionnement. Même si les équipements en question ne sont pas très complexes, ils le sont suffisamment pour rendre indispensable la mise en place de structures de crédit de formation, de suivi, de maintenance, de fourniture de pièces détachées, etc. La pérennisation de ces structures, leur prise en charge par des opérateurs économiques, doivent permettre de dépasser le cadre de projets ponctuels, à la fois dans l'espace et dans la durée. Ceci suppose que les actions visant à l'équipement des zones rurales ne se limitent pas aux aspects purement techniques. Elles doivent s'incrire dans le cadre d'une véritable et cohérente politique rurale. Actuellement celle-ci s'avère bien souvent insuffisante pour véritablement favoriser l'appropriation d'unités de transformation décentralisées.

L'un des arguments concret fréquemment avancé pour expliquer le peu de programmes visant l'appui au secteur artisanal est la difficulté de trouver des interlocuteurs. Ce secteur diffus est encore peu organisé pour se faire écho des ses préoccupations. Le dialogue avec les pouvoirs publics ou les organismes de développement n'est ainsi pas engagé faute de représentants du secteur. Les actions sont ainsi généralement limitées à quelques artisans. D'une façon plus générale, les unités artisanales ou les petites agroindustries rurales présentent l'avantage, en comparaison aux unités industrielles d'être créatrices d'emploi. Le coût d'investissement d'une petite unité de transformation est abordable pour nombre de commerçants ou d'hommes d'affaires. Les risques sont limités et la rentabilité plus facilement assurée du fait de la proximité de la production et du marché, d'autant plus que ce type d'unité peut mieux s'insérer dans les circuits de commercialisation encore décentralisés.

En faisant un premier bilan des initiatives de développement d'unités de transformation agroalimentaire, on constate que plusieurs opérations ont lancé des nouveaux produits sur le marché sans s'interroger au préalable sur les conditions de la demande. Certains produits s'avèrent mal positionnes, tant du point de vue de leur présentation que de l'image qui leur est associée. On a en effet un peu vite supposé qu'il suffisait de mettre sur le marché des aliment stabilisés et ensachés pour qu'ils se vendent. Dans la plupart des cas, leur définition, leur présentation et leur image, le choix des clientèles cibles et des réseaux de distribution ont été faits de façon empirique à partir d'une connaissance vague des circuits et du marché. Ce n'est pas parce qu'il s'agit de produits locaux et parce qu'on a résolu les problèmes de transformation, que l'on peut se passer d'une véritable approche marketing de leur promotion. Elle suppose, l'étude systématique et sérieuse du marché, le test du produit, la définition d'une stratégie de distribution, de publicité et de promotion. Concrétement cela signifie l'inscription aux budgets des projets de lignes conséquentes consacrées aux actions de marketing; cela signifie la mobilisation de compétences, locales si possible, dans ces domaines. Sans doute y-a-t'il à ce niveau des économies d'échelles à réaliser en assurant une meilleure coordination des efforts, voire la réalisation de travaux d'intérêt commun pour différents projets.

Parallèlement à une meilleure prise en compte du marché dans les projets, il importe de dépasser la vision à court terme d'une promotion des produits locaux comme moyen de lutter contre les importations. L'intégration de ces actions dans une véritable stratégie suppose une prise en compte de l'évolution à moyen et long terme des styles alimentaires. La tendance est à la diversification et c'est dans ce sens que doivent être orientées les actions. Les consommateurs, notamment urbains ne veulent pas manger des substituts de produits importés mais veulent manger plus varié. Il reste un effort à fournir pour innover tant sur les produits que sur les plats qui peuvent leur être associés. Il reste à imaginer d'autres formes de distribution (par exemple par le biais de la restauration), d'autres images que celles trop timides actuellement proposées.

Cette vision à plus long terme signifie, par exemple pour le Sahel, la nécessité de dépasser l'approche strictement céréalière de la question de la sécurité alimentaire. Les réflexions en cours sur l'intégration régionale supposent une prise en compte des diverses complémentarités entre pays, élargies aux produits non céréaliers.

Mais cette réflexion ne peut se mener sans un approfondissement des connaissances sur le marché et sur le comportement des consommateurs. La complexité du phénomène de la consommation alimentaire rend nécessaire de nouvelles méthodes d'analyse qui prennent en compte l'ensemble des facteurs économiques, techniques, sociaux et culturels déterminant ce comportement.

References

Miche J.C., 1982. Réalisation et conséquences des programmes de farines composées dans le monde; first draft. FAO, Rome, 106 p.

Sautier D. et al., 1989. Mil, maïs, sorgho; techniques et alimentation au Sahel. L'Harmattan- PUSAF, Paris, 171 p.


Les méthodes d'évaluation des projets et programmes au ministère français de la coopération et du développement

J. Dine
Ministère de la Coopération et du Développement, Paris

Abstract

Evaluation methods of projects and programmes at the French Ministry of Cooperation and Development

The organisation of the Permanent Secretariat for study, evaluation, and statistics established in 1982 by the French Ministry of Cooperation is described. Four types of analyses are used to evaluate French aid policies: geographical (State relations for the next 10-15 years, including political, cultural, and economic aspects); sectoral (industry, agriculture, environment, including objectives to be reached); resources required and actually made available; and project and programme. Evaluation reports are internal Ministry documents. They aim to improve methods and efficiency of operations, rather than control them.


Table des matières - Précédente - Suivante

CD3WD Project Donate