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LE DEVELOPPEMENT DES TRANSFORMATIONS POST-RECOLTE POUR L'APPROVISIONNEMENT DES MARCHES URBAINS:
L'EXEMPLE DE LA  FILIERE COSSETTE D'IGNAME EN AFRIQUE DE L'OUEST

P. VERNIER1, N. BRICAS2, E. ATEGBO3, J. HOUNHOUIGAN3,
K.E. N’KPENU4 & G. ORKWOR5

1 Unité CIRAD-IITA de Coordination de la Recherche sur l’Igname
2 CIRAD-SAR, Montpellier, France
3 Université Nationale du Bénin, Faculté des Sciences Agronomiques
4 Institut National des Cultures Vivrières (INCV), Lomé, Togo
5 Institut de Recherche sur les Plantes à Racines et Tubercules (NRCRI), Umuahia, Nigeria

Introduction

L’igname est un aliment très apprécié en Afrique de l’Ouest mais sa consommation sous forme de tubercules frais présente, pour les consommateurs urbains, de fortes contraintes. Celles-ci sont liées aux caractères saisonnier et périssable du produit qui rendent irrégulière sa disponibilité sur les marchés urbains et qui en font un aliment souvent beaucoup plus cher que les autres produits amylacés. Avec l’urbanisation, on observe dans certains pays, le développement d'une filière originale de cossettes d’igname. Il s'agit d'un produit stabilisé obtenu à partir de petits tubercules précuits et séchés au soleil. Les cossettes se consomment principalement sous forme de pâte ("l’amala" ou le "télibo") préparée à partir de la farine que l’on en obtient. Pour mieux estimer l'importance et comprendre le fonctionnement de cette filière encore mal connue, une enquête de consommation sur les produits à base d’igname a été menée en milieu urbain dans trois pays (Bénin, sud-ouest Nigeria, Togo). La situation est contrastée selon les pays. Si, au Togo et au Bénin, la base alimentaire reste le maïs, au Bénin, l’amala semble avoir pénétré les habitudes alimentaires comme produit de diversification plus consommé que l’igname fraîche. Dans la partie du Nigeria soumise à l'enquête, la consommation d’amala est dominante. Les consommateurs expliquent leur consommation de produits dérivés des cossettes par leur qualité gustative, leur constante disponibilité et leur facilité de préparation. Le développement de cette filière dans d’autres pays producteurs d’igname, moyennant les transferts de technologie appropriés, permettrait de réduire les contraintes liées à une commercialisation uniquement basée sur les tubercules frais.

L'igname en Afrique de l'Ouest

L'urbanisation rapide de l'Afrique (près de 7 % par an) peut produire un effet d'entraînement sur la production vivrière des pays de ce continent à une condition essentielle: celle d'un développement de systèmes d'intermédiation durables (commercialisation, transport, transformation) entre villes et campagnes. Ces systèmes doivent pouvoir à la fois fournir une garantie de débouchés pour les agriculteurs les incitant à accroître leur production, et également mettre à la disposition permanente des consommateurs urbains des produits adaptés à leurs styles alimentaires et à leur budget.
En zone de savane soudanienne ainsi qu’en zone tropicale humide, l'igname en tant que plante et produit alimentaire dispose d'un important potentiel pour relever ce défi. Il a été démontré que c’est une des cultures tropicales les plus efficaces tant en termes calorique (de Vries et al, 1967) que protéique (Idusogie, 1971).
Pour l’année 1995, la production africaine d'igname est estimée à près de 33 millions de tonnes par an, dont plus de 31 pour la seule Afrique de l’Ouest, la majeure partie étant fournie par le Nigeria (23 MT). La Côte d'Ivoire
(2,8 MT), le Ghana (2,2 MT), le Bénin (1,3 MT) et le Togo (375 000 T) sont également des producteurs importants (FAO, 1996). Entre 1989-91 et 1995, la production du continent aurait augmenté de près de 50%, toujours selon les statistiques de la FAO, ce qui infirme l’image que Coursey combattait déjà (Coursey, 1981) d’une production à l’avenir incertain, au mieux folklorique, handicapée par ses coûts de production élevés et sa conservation difficile.
Dans cette région, l'igname est une culture ancestrale à laquelle les paysans portent un attachement particulier. Cette plante et ce produit ont en effet un rôle social et culturel important qui a fait qualifier cette région de civilisation africaine de l’igname (Miège, 1957). L'igname joue également un rôle de sécurité alimentaire car c’est une plante moins sensible aux aléas climatiques que les céréales cultivables dans les mêmes zones. Bien qu’originaire, pour Dioscorea cayenensis-rotundata, du Golfe de Guinée (Nigeria, Bénin) (Coursey, 1976), la culture de l’igname se développe aussi vers les zones tropicales humides de l’Afrique centrale. En Centrafrique (250 000 t), au Tchad (240 000 t), au Gabon (120 000 t) et au Zaïre (315 000 t) (données 1995), l’igname est désormais présente au sein des systèmes agricoles, soit en tant que spéculation majeure, soit comme culture de diversification.
La consommation d'igname est importante dans les zones de production où elle peut fournir une part importante des apports caloriques. Elle est également significative en milieu urbain, malgré la concurrence d'autres produits (manioc, maïs, sorgho, riz, blé). En Afrique, l'igname continue en effet d'être particulièrement appréciée par les citadins et conserve un prestige certain. Elle participe à la diversification de l'alimentation, tendance lourde de l'évolution des styles de consommation urbains (Bricas, 1993), notamment pour les populations non originaires des zones traditionnelles de production. En Afrique de l’Ouest, sa commercialisation se développe hors des pays de production vers les villes du Sahel (Bamako, Ouagadougou, Niamey) où l'on observe des arrivages en provenance des pays côtiers et où la consommation s'introduit par le biais de la petite restauration populaire.

Les cossettes d’igname

Bien que l’igname soit en majeure partie consommée sous forme de tubercules frais, il existait depuis longtemps, dans toute la zone de production d'igname, une pratique de transformation des tubercules en cossettes à usage domestique. Les paysans stabilisaient une partie de leur production, notamment les écarts de cuisine, afin de constituer des stocks pour les périodes de soudure. Cette technique consiste à éplucher les tubercules, les précuire à l'eau contenant des substances naturelles qui jouent par la suite le rôle d'antifongiques et d'insectifuges, puis les sécher au soleil, de préférence en période d’harmattan. La précuisson n’est pas systématique, en particulier au Nigeria (Ezeh, 1992). Dans ce cas, la possibilité de conservation est limitée à quelques semaines alors qu'elle peut s'étendre à plus d'un an lorsque les tubercules ont été précuits avant séchage. C'est essentiellement sous cette forme de tubercules séchés, entiers mais de petite taille ou en morceaux, que s'effectue la commercialisation vers les marchés urbains. Pour leur utilisation culinaire, les cossettes sont réduites en farine après concassage. La farine sert à fabriquer une pâte colorée à consistance élastique, "l'amala" ou le "télibo", que les consommateurs distinguent du "foutou ou foufou", l'igname pilée préparée à partir de tubercules frais. Des plats plus élaborés existent aussi comme le "wassa-wassa" connu dans toute la sous-région (granules de farine) ou le "tubaani" du Ghana en mélange avec la farine de haricot.

Le processus de préparation de l’amala est détaillé dans la figure 1.

Fig. 1 Procédé de transformation de l'igname en cossettes, farine et "amala" (d’après Département Nutrition et Sciences Agro-alimentaires - FSA-UNB). FIG 2_7A (8 KB)

La transformation des ignames en cossettes est traditionnellement très importante dans les régions de Ife, Ilesha et Ede à l’ouest du Nigeria (Adisa, 1985; Igé, 1981). Cependant il y a encore une vingtaine d’années au Nigeria et au Bénin, les filières d'approvisionnement urbain en igname étaient largement dominées par les flux de tubercules frais. Au Nigeria, les produits transformés à base d’igname n’étaient, il y a encore quelques années, considérés que comme des produits domestiques (Coursey, 1979). Au Bénin, il a fallu attendre la fin des années 70 pour voir apparaître les cossettes dans les statistiques agricoles (Dumont et Vernier, 1997).

Les handicaps de la filière igname fraîche

La commercialisation quasi exclusive sous forme de tubercules frais prévaut toujours dans les autres pays. Cette situation induit un certain nombre de facteurs défavorables:

*

Du fait des critères de qualité des consommateurs pour les tubercules frais, les paysans privilégient pour cette production, des variétés à gros tubercules qui donnent la meilleure qualité d’igname pilée. La culture de ces variétés, exigeantes en fertilité, est inféodée à la pratique de défriche-brûlis. Elle exige un important travail, notamment pour le buttage des plants qui doit permettre un bon grossissement du tubercule dans une terre meuble. Or, avec la pression foncière, les surfaces de forêts tendent à se réduire et les rotations culturales s'accélèrent. Dans ce contexte, l'accroissement de la production de ce type d’igname pour suivre la demande apparaît difficile à long terme.

* A l’inverse du manioc, dont la récolte est possible tout au long de l’année, l'igname est une production saisonnière qui se conserve difficilement au-delà de quelques semaines après la récolte. En l'absence de techniques de stabilisation, les pertes après récolte peuvent être importantes, notamment avec les variétés les plus appréciées (pourriture, germination). Ces pertes peuvent atteindre près de 50% de la production en six mois (Coursey, 1967).
Fig. 2 Evolution des prix de l’igname selon le produit considéré sur le marché de Parakou (Bénin) (sources des données ONASA). FIG 2_7B (11 KB)

*

Pour ces raisons, la disponibilité de l'igname fraîche sur les marchés est saisonnière et les prix au consommateur varient fortement durant l’année. D'après les données de l'ONASA (Organisation Nationale pour la Sécurité Alimentaire) au Bénin (figure 2), on constate que les prix peuvent varier d'un facteur de 1 à 6 en cours d'année.
* Compte tenu de la forte teneur en eau des tubercules frais (60 à 75%), la commercialisation est handicapée par un coût de transport élevé.
* De l'ensemble de ces contraintes, il résulte pour le consommateur urbain un coût moyen de l'igname fraîche relativement élevé par rapport aux autres amylacés. Les prix moyens annuels des produits amylacés sur le principal marché de Cotonou (Dantokpa) et sur le marché de Parakou, en pleine zone de production d'igname, sont indiqués dans le Tableau 1.

 

Tab. 1

Moyennes annuelles des prix au consommateur des principaux produits amylacés (en FCFA/kg; Source: Nos calculs d'après les données mensuelles de l'ONASA).


Cotonou Dantokpa

Parakou

1994

1995

1996

1994

1995

1996


Maïs
Riz local
Riz importé
Farine de blé
Igname fraîche
Igname équiv. sec*
Cossette igname
Gari ordinaire
Gari fin
Cossette manioc
86
196
243
212
87
220

92
121
106
236
277
252
86
219

120
154
141
325
316
330
101
256

158
199
67
213
226
218
58
148
112
122
155
60
87
248
279
262
65
166
116
135
173
64
139
288
334
340
84
212
140
173
215
95

*

Le prix de l'igname équivalent sec est calculé pour un taux d'humidité équivalent à celui des cossettes d'igname (13 %) et compte tenu des pertes dues à l’épluchage (25%).

Les avantages de la filière cossette

En comparaison avec la filière igname fraîche, la filière cossettes présente a priori un certain nombre d'avantages:

*

Les critères de qualité des consommateurs pour les cossettes sont différents de ceux pour les tubercules frais à piler. Ce sont les petits tubercules (300 à 400 g) qui sont recherchés car plus faciles à sécher et, par conséquent, associés par le consommateur à une image de qualité. De ce fait, les producteurs privilégient pour la fabrication des cossettes les variétés D. cayenensis rotundata à multiples petits tubercules, connues dans les trois pays sous le nom générique de "kokoro" (plus connues sous le nom d’Alassora au Togo). Celles-ci apparaissent également moins exigeantes quant à la fertilité du sol que les " variétés à piler ", généralement précoces, et s'insèrent plus facilement dans des systèmes de culture stabilisés. Les buttes nécessaires à ces variétés sont moins importantes, ce qui réduit le travail agricole. De ce fait les variétés "kokoro" apparaissent plus adaptées que les variétés classiques à l'évolution tendancielle, liée à l’augmentation démographique, des systèmes de culture vers la sédentarisation sous l’effet de la croissance démographique.
* La transformation en cossettes permettant de stabiliser le produit, les pertes après récolte sont très largement réduites. Les cossettes se conservent plus d’un an et sont donc disponibles sur les marchés urbains de façon régulière. D'après les données de l'ONASA, au Bénin, on constate que les prix ne varient que d'un facteur de 1 à 2 au cours de l'année
(cf. Figure 2). Il subsiste cependant des difficultés pour sécher au soleil d'importantes quantités de tubercules, le séchage ne s’effectuant correctement que pendant les périodes d’harmattan (faible humidité relative de l’air).
* Ces difficultés se traduisent par la production et la mise sur le marché de lots de tubercules parfois mal séchés et noircis par les moisissures. Pendant le stockage les cossettes sont souvent attaquées par les insectes foreurs (Adisa, 1985) dont les dégâts deviennent importants après quelques mois. Parmi les plus fréquents on peut citer Sitophilus zeamais Motschulsky (Col: Curculionidae), Dinoderus ?oblongopunctatus Lesne et D. minutus Fabricius (Col: Bostrichidae), Palorus subdepressus Wollaston (Col: Bostrichidae) (G. Goergen cité par Dumont, Vernier, 1997).
* Les cossettes ont une teneur en eau d’environ 10 à 13 % (contre 60 à 75 % pour les tubercules frais). Les coûts de transport ramenés à l’unité de matière sèche sont par conséquent réduits.
* L'ensemble de ces caractéristiques permet d'aboutir à un prix des cossettes au consommateur nettement inférieur à celui de l'igname fraîche à un même niveau de comparaison. Au Bénin, depuis la dévaluation du FCFA, les cossettes d'igname se situent ainsi à un prix intermédiaire entre celui du manioc ou du maïs et celui du riz, du blé ou des tubercules frais (cf. Tableau 1 et Tableau 2).

 

Tab. 2

Prix comparatifs des principaux aliments disponibles sur le marché de Cotonou (décembre 1994; source: Dumont & Vernier, 1997).


Nature du produit

Unité de mesure

Valeur produit
(FCFA/kg)

Valeur aliment préparé (FCFA/kg)


Cossettes d'ignames "Kokoro"
Cossettes d'ignames "Kokoro"
Farine d'igname
Tubercules frais d'igname
Cossettes de manioc
Cossettes de manioc
Farine de manioc
Gari
Riz importé
Riz importé
Riz local

sac (± 108 kg)
cuvette (± 11 kg)
tongolo (± 0,8 kg)
tas (± 15 kg)
sac (± 60 kg)
cuvette (± 6 kg)
tongolo (± 0,95 kg)
tongolo (± 0,86 kg)
sac (50 kg)
tongolo (0,8 kg)
tongolo (0,8 kg)

126
205
309
88
61
82
132
150
220
410
340

33
53
79
80
17
23
39
40
73
175
142


 

* Enfin, l'intérêt des cossettes réside dans le fait qu'elles offrent des opportunités de nouvelles utilisations culinaires, par exemple par les possibilités de transformer la farine en granules ou de l'incorporer dans des produits amylacés de type biscuit, farine infantile, boissons végétales, etc. Certaines de ces transformations sont déjà explorées par de petites entreprises, notamment au Bénin (production de farine de cossettes tamisée) et au Burkina (production de "couscous" d'igname).

La filière cossette apparaît donc, de plusieurs points de vue, très intéressante pour contribuer à la diversification de l'alimentation urbaine en valorisant une production locale et compte tenu de l'évolution des systèmes de culture. C'est la raison pour laquelle a été entreprise une étude sur cette filière afin notamment de préciser les conditions de son développement dans d'autres pays producteurs d'igname où l'approvisionnement des villes en igname se fait encore sous forme de tubercules frais.

Méthodologie de l'étude de la filière cossettes
Une étude de la filière cossettes a été initiée en 1996 dans trois pays du Golfe de Guinée (Bénin, Nigeria et Togo) dans le cadre du projet de "Valorisation de l’igname pour les marchés urbains" financé par le Ministère français de la Coopération. Ces pays ont été choisis car la production et le commerce des cossettes d’igname semblaient a priori y revêtir une certaine ampleur.
Les résultats présentés dans le cadre de cet article concernent une enquête de consommation alimentaire réalisée dans les trois pays auprès des ménagères urbaines. Dans chaque pays, environ 200 personnes ont été interrogées dans les grands centres urbains: Lomé au Togo, Cotonou au Bénin et cinq grandes villes du sud-ouest Nigeria (Lagos, Ibadan, Ife, Abeokuta et Ilorin). L’enquête a été réalisée en trois passages, mais le présent article ne concerne que les données encore partielles obtenues après les deux premiers passages en avril-mai puis en septembre. Le dernier passage a été réalisé en janvier 1997. La première période correspond à la fin de la forte disponibilité de tubercules frais. La seconde, au contraire, se situe au moment de l’arrivée des ignames nouvelles, et la troisième correspond à la mise sur le marché des ignames tardives ainsi qu’au début de la saison des cossettes nouvelles.

Principaux résultats
L’enquête s’est d'abord attachée à comparer l'importance de la consommation d’amala avec celle des autres préparations à base d’igname (pilée essentiellement) et des autres produits amylacés. On rappellera que l’amala est, de loin, le principal aliment préparé avec la farine de cossettes.

L'importance relative de la consommation d'igname par rapport aux autres produits amylacés
Le Tableau 3 indique l'importance relative de la fréquence de consommation des principaux produits amylacés. L'indice présenté est calculé par pondération des pourcentages de réponse à la question: "Parmi les aliments suivants, quels sont, par ordre d'importance décroissante, les trois que vous avez consommés le plus la semaine passée?". Cet indice n'indique en rien les quantités consommées, mais permet seulement d'établir une hiérarchie des aliments tenant compte de leur ordre de citation.

Tab. 3

Indices* de l'importance relative de la consommation des principaux produits amylacés.


Togo

Bénin

Nigeria

date de l’enquête

05/96

10/96

05/96

10/96

05/96

10/96


Maïs
Riz
Igname pilée
Amala
Gari
Haricot
Pain
42
25
16
4
6

12
42
26
20
2
3

2
44
24
3
6
13
6
1
47
21
3
5
12
7
0
9
23
5
29
14
11
5
6
22
11
26
15
8
4

*

Les indices pondérés sont calculés au moyen de la formule:
[(%1er choix x 3)+(%2e choix x 2)+(%3e choix)]/6

A Cotonou et à Lomé, le maïs est, de loin, l’amylacé le plus consommé. Au cours de la semaine, les consommateurs alternent cependant cette base avec d’autres aliments: le riz et l’igname pilée au Togo; le riz et le gari de manioc au Bénin. Dans ces deux pays, l’amala joue également un rôle de produit de diversification du régime amylacé, au même titre que le gari à Lomé et que le haricot à Cotonou.
Dans les villes du sud-ouest du Nigeria, la situation est différente. Quatre aliments de base sont largement utilisés au cours de la semaine: l’amala, qui représente celui le plus fréquemment consommé (près de 40% des consommateurs l’utilisent le plus fréquemment), le riz, le gari et le haricot. L’igname pilée ou bouillie, préparée à partir de tubercules frais, n’apparaît qu’au moment des récoltes d’igname, lorsque le produit est abondant et les prix bas.

L’importance relative de la consommation d'amala par rapport à celle d’igname pilée
Le Tableau 4 indique les réponses à la question: "Durant les 15 derniers jours, entre l'igname pilée et l'amala, quel est le produit que vous avez le plus fréquemment consommé?".

Tab. 4

La préparation à base d'igname la plus fréquemment consommée
(en % des réponses lors des deux premiers passages de l’enquête).


Lomé

Cotonou

Villes du s-o Nigeria

Passage

05/96

10/96

05/96

10/96

05/96

10/96


Amala
Igname pilée
Les deux aussi souvent
Total
Effectif des répondants

9
85
6
100
141

6
90
4
100
143

87
10
3
100
105

65
33
2
100
82

88
6
6
100
174

72
18
10
100
194


A l’exception de Lomé où la consommation de foutou est neuf fois plus fréquente que celle d’amala, dans les deux autres pays c’est la situation inverse qui prédomine. A Cotonou et dans les cinq villes du sud-ouest du Nigeria soumises à l'enquête, la consommation d’amala est largement dominante par rapport à celle de l’igname pilée. Cela est particulièrement vrai lors du premier passage de l’enquête au mois de mai, autrement dit au moment où les tubercules frais deviennent rares et chers. Mais cela reste encore très important en septembre, en pleine saison des ignames nouvelles qui sont les plus appréciées pour la préparation du foutou.

Le Tableau 5 indique la fréquence de consommation de l’amala enregistrée pendant l’enquête.

Tab. 5

La fréquence de consommation de l'amala (en % des réponses).


Lomé

Cotonou

Villes du s-o Nigeria

Passage

05/96

10/96

05/96

10/96

05/96

10/96


Quotidienne ou presque
Plusieurs fois/semaine
Occasionnellement
Jamais
TOTAL
Effectif des répondants

1,0
9,5
11,0
78,5
100
200

0,5
3,0
6,0
78,5
100
200

1,4
19,1
28,1
51,4
100
210

1,0
13,3
18,1
67,6
100
210

40,9
36,9
15,3
6,9
100
203

32,7
33,7
24,1
9,5
100
203


Dans les villes du sud-ouest du Nigeria, la consommation d’amala est très fréquente puisque selon la période considérée, 65 à 77 % des personnes interrogées indiquent une consommation quotidienne ou très fréquente de cet aliment. A Cotonou, cette proportion est moindre mais révèle 14 à 21 % de consommateurs réguliers. A l’inverse, les consommateurs réguliers sont minoritaires à Lomé.
Le niveau de vie, estimé sur la base du type d’habitat, n’apparaît pas fortement déterminant dans la consommation d’igname au Togo et au Nigeria. Au Bénin, la fréquence de consommation d’igname pilée et d’amala apparaît positivement liée au niveau de vie.
On observe par contre de nettes différences selon l’origine géo-culturelle des consommateurs. Ceux provenant des zones de production de cossettes sont des consommateurs privilégiés d’amala. Mais il est intéressant d’observer que, comme l’indique le Tableau 6, dans une ville comme Cotonou la consommation d'amala a largement débordé des populations d’origine yoruba qui en étaient au départ les principales consommatrices.

Tab. 6

Fréquence de consommation d’amala en fonction du groupe ethnique au Bénin (pour les deux passages de l'enquête en % des réponses).


Ethnie

Igname pilée

Amala

(Effectif)

Régulier

Occasion.
- jamais -

Total

Régulier

Occasion.
- jamais -

Total


Fon (285)

7

93

100

16

84

100

Adja (75)

1

99

100

8

92

100

Yoruba (48)

27

73

100

38

62

100

Autres (10)

10

90

100

40

60

100


Ainsi, l'amala apparaît comme un vecteur de la consommation d'igname auprès de populations qui n'avaient pas l'habitude de consommer ce tubercule.

L’amala, un produit apprécié pour ses propres qualités

Les raisons évoquées pour expliquer la consommation d’amala sont indiquées dans le Tableau 7.

Tab. 7:

Raisons invoquées pour expliquer la consommation d'amala (pour les deux passages de l'enquête en % des réponses).


Raison évoquée

Lomé

Cotonou

Villes du s-o Nigeria


Me plaît, a bon goût

92

74

37

Bon pour la santé

19

13

31

Facile à préparer

2

9

41

Se trouve facilement

1

1

34

Pas cher

1

2

23

Par habitude ou tradition

7

4

6

Autres

1

18*

4

Effectif des répondants

168

360

392


La somme des réponses est supérieure à 100 car plusieurs réponses étaient possibles;
* "autres" correspond ici à la réponse "pour varier par rapport à l'igname pilée".

A Lomé où la consommation d’amala reste secondaire loin derrière l’igname pilée, les premières raisons invoquées pour sa consommation sont ses qualités organoleptiques et, en particulier son goût et ses vertus diététiques. Cette appréciation se retrouve au Bénin, mais 18 % des consommateurs mettent en avant leur envie de diversité par rapport à l’igname pilée. Au Nigeria, les motivations sont plus variées. La facilité de préparation, les qualités organoleptiques et diététiques et la facilité d’approvisionnement viennent en tête. Le prix attractif est cité par 23 % des personnes interrogées. A noter que cette caractéristique n'est que très peu mentionnée spontanément à Lomé et Cotonou.
Loin d’être un aliment de second choix sur lequel on se rabattrait faute de mieux, l'amala apparaît ainsi apprécié pour ses propres qualités. Ces données sont confirmées par l'analyse des réponses à la question: "Entre l'amala et l'igname pilée, que préférez-vous?" En moyenne des deux passages de l'enquête, on constate que l'amala est préféré par 13 % des consommateurs à Lomé, 52 % à Cotonou et 48 % dans les villes du sud-ouest du Nigeria.
Globalement, ces résultats permettent d’avancer une interprétation sur le rôle de l’amala. Celui-ci apparaît différent selon les pays.
A Lomé, l’amala reste encore relativement peu consommé du fait d’un fort attachement des consommateurs à l’igname pilée. Lorsque les tubercules frais sont moins disponibles et trop chers, les consommateurs se rabattent sur d’autres amylacés.
A Cotonou, l’amala a réellement pénétré les habitudes alimentaires citadines. Il permet, pour les amateurs d’igname, d’en consommer toute l’année. Il devient, pour ceux qui consomment traditionnellement peu d’igname, un produit accessible de diversification.
Dans les villes du sud-ouest du Nigeria, l’amala est dominant, bénéficie d'une bonne image, mais apparaît plus fréquemment utilisé que les préférences des consommateurs ne le laisseraient penser. L’igname pilée est sans doute devenue difficilement accessible à une population urbaine fortement touchée par la crise. Culturellement très attachés à l’igname, les Nigérians utilisent les cossettes comme moyen de continuer à en consommer à défaut de pouvoir préparer des tubercules frais devenus trop chers pour leur pouvoir d’achat.

Conclusion: des perspectives de développement
La filière cossette d’igname apparaît, de plusieurs points de vue, très intéressante pour contribuer à la diversification de l'alimentation urbaine en valorisant une production locale et pour adapter la culture de l’igname à l'évolution des systèmes de culture vers la sédentarisation. Les techniques de transformation actuelles sont maîtrisables par les petits agriculteurs et ne nécessitent pas d’investissements importants.
Il reste que la performance de ce système technique est encore limitée par le travail d’épluchage et les difficultés de séchage et de conservation des stocks. Des améliorations simples issues d'expériences d'autres pays sur des produits différents paraissent cependant possibles à mettre en œuvre et ce, malgré le faible pouvoir d'investissement des producteurs ruraux. La mécanisation de la découpe des tubercules à l‘aide d’éminceuses utilisées pour le manioc (Jeon et Halos, 1994) semble une voie prometteuse. En produisant des bâtonnets de moins d'un centimètre de section, cet équipement permettrait d'accélérer le travail et permettrait de réduire le temps de séchage. De même l'optimisation du procédé combiné de pré-cuisson en présence d'antifongiques et d'insectifuges naturels et de séchage solaire permettrait d'améliorer la qualité des produits. Les conséquences de ces modifications technologiques sur la conservation et la qualité finale de la farine sont en cours d’évaluation.
La diffusion de ce système technique de transformation vers d'autres pays producteurs d’ignames qui ne le pratiquent pas permettrait de diminuer les contraintes d’une filière uniquement basée sur les tubercules frais. Pour réussir, ce transfert de technologie suppose cependant:

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L'adaptation du produit au goût des consommateurs locaux.

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La vérification de la compétitivité du produit par rapport aux autres amylacés.

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L'introduction, là où il manque, d'un nouveau matériel végétal dans les systèmes de culture.

Ces recherches-actions méritent d'être étudiées car elles s’inscrivent dans l’évolution tendancielle des filières d'approvisionnement vivrier des villes en Afrique.

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