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Chapitre 2: Origines et distribution

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Le tableau 2.1 indique l'origine probable des racines et des tubercules. Ces végétaux ont été diffusés durant les voyages des négriers portugais et des missionnaires espagnols et portugais, et par les marchands arabes. Le genre Dioscorea (une variété d'igname) a une plus grande diversité d'origine avec des espèces différentes adaptées à des écosystèmes divers. D. trifida est originaire d'Amérique tropicale; D. rotundata, D. cayenensis, D. bulbifera et D. dumetorurn proviennent d'Afrique de l'Ouest; D. alata, D. esculenta et D. opposita sont originaires d'Asie; D. opposita et D. japonica ont leur centre d'origine en Chine.

Les ignames sont les seules plantes-racines dont les espèces asiatiques et africaines se sont développées indépendamment les unes des autres. L'échange d'espèces eut lieu sous l'influence des explorateurs portugais. Ceux-ci apprirent la valeur de D. alata des marins indiens et malais qui l'utilisaient sur leurs bateaux durant les longs voyages parce qu'elle est facile à entreposer et a des propriétés antiscorbutiques. Les Portugais l'adoptèrent rapidement et l'introduisirent à Elmina et à Sao Tomé en Afrique de l'Ouest. Par la suite, avec le commerce transatlantique des esclaves, les Portugais apportèrent les espèces africaines, D. rotundata et D. cayenensis, ainsi que l'espèce asiatique D. alata dans les Caraibes où elles sont devenues des aliments de base importants (Coursey, 1976). Selon Coursey (1967), D. alata proviendrait des plantes sauvages apparentées, D. hamiltoni et D. persimilis, dans les régions du nord et du centre de la péninsule de l'Asie du Sud-Est, probablement la Birmanie ou l'Assam. Il en serait de même pour D. esculenta, tandis que D. hispida, D. pentaphylla et D. bulbifera proviendraient d'un centre indo-malais. D. rotundata est originaire d'Afrique où elle est connue sous le nom d'igname ailée ou igname d'eau, qui indique qu'elle a été introduite par la voie des mers.

Tableau 2.1 Origine des plantes-racines tropicales

Espéces Noms français Origine probable
Espèces américaines
Ipomoea batatas Patate Nord de l'Amérique tropicale
(Mexique, Amérique centrale et
Caraïbes)
Manihot esculenta Manioc, taro Centre de l'Amérique tropicale
(des Caraïbes au nord-est du
Brésil)
Xanthosoma sagittilolium Chou caraïbes, taro Centre de l'Amérique tropicale
(des Caraïbes au nord du Brésil)
Solanum tuberosum Pomme de terre Région andine de l'Amérique
du Sud (Colombie, Bolivie et Pérou)
Dioscorea trifida Igname douce Centre de l'Amérique tropicale (Guyana, Suriname)
Espéces africaines
Dioscorea rotundata Igname Afrique de l'Ouest tropicale
Dioscorea cayenensis Igname sauvage Afrique de l'Ouest tropicale
Dioscorea dumetorum Igname sauvage Afrique de l'Ouest tropicale
Dioscorea bulbifera Igname sauvage Afrique de l'Ouest tropicale
Espèces asiatiques
Dioscorea alata Igname Asie du Sud
Dioscorea esculenta Igname Asie du Sud
Dioscorea opposita Igname Asie du Sud
Colocasia esculenta Colocase ou taro Asie du Sud-Est
Musa acaminate Banane/plantain Asie du Sud-Est

Source: D'aprés Purseglove (1968,1972).

D. rotundata est l'igname africaine la plus importante, notamment dans la zone forestière; il s'agit probablement d'un hybride d'une autre igname africaine, D. cayenensis, qui pousse dans les savanes. En Afrique del l'Ouest, elle est cultivée dans la bande de production des racines et tubercules qui s'étend entre 15°N et 15°S de part et d'autre de l'équateur. (Coursey, 1976; Okigbo, 1978; Nweke, 1981).

On sait peu de chose sur l'origine des ignames du nouveau monde. Durant l'ècre précolombienne, elles n'avaient qu'une importance secondaire. D. trifida, une variété amérindienne adaptée, serait née aux frontières du Brésil et de la Guyane, puis se serait répandue dans les Caraibes (Ayensu et Coursey, 1972). Les ignames font leur entrée en Amérique au moment de l'expansion portugaise et espagnole précoloniale qui a commencé il y a environ 500 ans. Des traces de D. alata en Afrique de l'Ouest et d'ignames africaines en Amérique remontent au 16ô siècle (Coursey, 1967).

La patate, originaire de la péninsule du Yucatan en Amérique latine, semble être la plante-racine la plus répandue. Elle est adaptable et peut pousser dans des conditions écologiques très variées. Son cycle végétatif (de trois à cinq mois) est plus court que celui de la plupart des autres plantes-racines et n'a pas de caractère saisonnier marqué. Dans des conditions climatiques favorables, on peut la cultiver toute l'année, et le mauvais temps entraîne rarement la perte de toute la récolte. C'est pourquoi la patate est plantée comme «culture de sécurité» en association avec des céréales comme le riz en Asie du Sud-Est, et avec d'autres plants-racines comme le taro et l'igname en Océanie. C'est une plante populaire aux Philippines et au Japon à cause de son port procombant qui lui permet de résister aux grands vents tels les ouragans et les typhons (Wilson, 1977). La patate est cultivée depuis l'an 3000 avant J.-C. à peu près. C'était un aliment important pour les Mayas en Amérique centrale cl pour les Péruviens dans les Andes. Selon des preuves recueillies en Colombie, les rapports des explorateurs et des missionnaires espagnols au Mexique et au Pérou, et des Portugais au Brésil, il est clair que la patate était répandue dans tous les pays de l'Amérique tropicale avant 1492. Elle gagna au 16c siècle la zone du Pacifique grâce aux explorateurs espagnols et portugais. Par la suite, les explorateurs portugais transportèrent en Afrique, en Inde et dans les Indes orientales les clones antillais cultivés dans les pays de la Méditerranée occidentale. Les négociants espagnols emportèrent aussi des patates du Mexique à Manille. Plus tard, la patate arriva en NouvelleGuinée et dans les îles orientales du Pacifique, puis pénétra en Chine et au Japon. On la cultive maintenant dans des environnements très variés, entre 40° de latitude Nord et 40° de latitude Sud, et du niveau de la mer jusqu'à 2 300 m d'altitude.

La distribution de la pomme de terre est elle aussi étendue. Cette plante est originaire des hauts plateaux andins en Amérique du Sud où elle s'est adaptée au climat froid et aux jours courts communs sous ces latitudes. On trouve encore des cultivars dans des zones de montagne s'étendant du sudouest des Etats-Unis au sud de l'Amérique latine, et plus spécialement à de hautes altitudes en Bolivie et au Pérou et dans les régions côtières et les îles voisines du Chili méridional (Simmonds, 1976). Quand la pomme de terre originale fut introduite en Europe, elle y resta une curiosité botanique pendant plus d'un siècle et ne s'est répandue que lorsque l'on eut mis au point une variété adaptée à des jours plus longs.

Les marins espagnols introduisirent la pomme de terre en Espagne dès 1573. Elle fut probablement apportée en Angleterre par des navigateurs anglais qui avaient capturé des vaisseaux espagnols vers 1590. D'Espagne, la pomme de terre envahit toute l'Europe continentale; d'Angleterre, elle passa dans toutes les îles britanniques puis dans les régions du nord de l'Europe. En 1600, des pommes de terre furent expédiées d'Espagne en Italie et de là en Allemagne; la même année, elles parvinrent en France.

C'est grâce aux activités des colons européens que les pommes de terre atteignirent la majorité des autres régions du monde. L'Amérique du Nord reçut des pommes de terre d'Angleterre en 1621; les missioinnaires britanniques en emportèrent en Asie au 17e siècle, et les missionnaires belges les introduisirent au Congo au 19c siècle. La pomme de terre fut apportée en Inde au 16c siècle par des négociants portugais, et 200 ans plus tard elle avait gagné toute l'Inde. De là, elle passa au Bouthan, au Népal et au Sikkim. En Afrique, son introduction eut lieu après la colonisation. Il se pourrait que ses propriétés antiscorbutiques aient persuadé les marins de l'entreposer dans leurs navires, et que les marins aient encouragé les populations à la cultiver partout où ils débarquaient.

Comme la patate, la pomme de terre a un cycle végétatif (environ quatre mois) plus court que celui de la plupart des autres plantes-racines. La tubérisalion des cultivars indigènes sud-américains nécessite des jours plus longs que pour les autres plantes-racines, et de nombreux cultivars supportent même la longueur du jour extrême de 24 heures de l'été polaire (Kay, 1973). Aussi se sont-ils répandus très facilement.

Le manioc est un exemple typique de plante-racine pouvant supporter la sécheresse et des méthodes culturales médiocres. Il estoriginaire d'Amérique tropicale, mais la zone exacte n'est pas connue. Il pourrait s'agir du Mexique, de l'Amérique centrale ou du nord de l'Amérique du Sud. Introduit dans le bassin du Congo des 1558 par les Portugais, le manioc se répandit ensuite rapidement en Angola, au Zaïre, au Congo et au Gabon, et plus tard en Afrique de l'Ouest. Il fut introduit séparément sur la côte orientale de l'Afrique et à Madagascar au 18à siècle par les marchands portugais et arabes, puis devint rapidement un aliment de base dans de nombreuses régions de plaine sous les tropiques (Jones, 1959). En Afrique, la culture du manioc s'est développée au 19c et au 20c siècle, encouragée par les autorités administratives qui ont reconnu sa valeur comme aliment de secours en cas de famine. Selon Kahn (1985), après la Première Guerre mondiale, les agriculteurs du Ruanda-Urundi, aujourd'hui nations indépendantes du Rwanda et du Burundi, ont d'abord refusé de suivre le conseil des Belges de planter du manioc, car ils avaient suffisamment de pommes de terre. Mais en 1924, les Belges donnèrent l'ordre formel de cultiver du manioc et recrutèrent 60 ()0() porteurs pour transporter 5 000 t de plants de manioc dans la région, de sorte que les agriculteurs finirent par accepter.

Le manioc fut apporté en Inde par les Portugais au 17c siècle. Vers 1850, il fut transporté directement du Brésil à Java, à Singapour et en Malaisie. Il a été introduit dans les territoires du Pacifique Sud durant la première moitié du 19c siècle par les missionnaires et Ies voyageurs, mais son importance varie d'une île à l'autre. Aujourd'hui, on cultive le manioc dans toutes les zones tropicales et subtropicales, à peu près entre 30°N et 30°S de part et d'autre de l'équateur et jusqu'à 1 500 m d'altitude.

La diffusion des plantes-racines a été facilitée par leur aptitude à pousser sous des climats tropicaux divers. Certaines, comme le taro, requièrent des sols saturés d'eau tandis que d'autres, tel le manioc, ont besoin d'un apport d'eau minimal après l'acclimatation (Wilson, 1977). Ce fut le fait que des eaux de crue étaient nécessaires pour le taro, Colocasia esculenta, qui convainquit Ies anthropologues que ces colocases étaient Ies premières cultures irriguées et que les anciennes terrasses «à riz» d'Asie avaient été construites à l'origine pour elles (Plucknett et al., 1970). Quant au chou caraïbe (Xanthosoma sagittifolium), il ne supporte pas l'engorgement du sol (Onwueme, 1978).

Xanthosoma provient d'Amérique du Sud et des Caraïbes. Les Espagnols et les Portugais l'introduisirent en Europe et le répandirent aussi en Asie. Il passa des Caraïbes à la fin du 19e siécle en Sierra Leone puis au Ghana. En Afrique de l'Ouest, Xanthosoma est plus important que Colocasia, étant apprécié pour son tubercule, ses ramifications, ses feuilles et ses jeunes tiges. Bien que Xanthosoma soit relativement nouveau dans la région du Pacifique, il s'est répandu rapidement partout, devenant véritablement la culture la plus importante dans bon nombre de ces îles. On le cultive aussi communément à Porto Rico, en République dominicaine et à Cuba, et il est important dans les montagnes du littoral en Amérique du Sud, dans le bassin de l'Amazone et en Amérique centrale.

Colocasia provient de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est. Il y a environ 2 000 ans, il se répandit en Egypte et de là gagna l'Europe (Plucknett et al., 1970). Par la suite, il passa de l'Espagne en Amérique tropicale puis en Afrique de l'Ouest. Il servait à l'alimentation des esclaves et c'est avec la traite des esclaves qu'il atteignit les Antilles (Coursey, 1968). En Afrique de l'Ouest, pour distinguer Colocasia de l'espèce plus nouvelle Xanthosoma, on a appelé Colocasia «colocase» et Xanthosoma «chou caraïbe». Colocasia est un aliment de base dans de nombreuses îles du Pacifique Sud comme les Tonga, le Samoa-Occidenlal et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Colocasia et Xanthosoma supportent l'ombre, et c'est pourquoi on les fait souvent pousser sous des plantations permanentes comme bananiers, cocotiers, agrumes, palmiers à huile et notamment cacaoyers. On les désigne parfois collectivement sous le nom de taros.

On pense que la banane est originaire de l'Asie du Sud-Est, ayant été cultivée dans le sud de l'Inde vers 500 avant J.-C. De là, elle gagna la Malaisie par Madagascar, puis se déplaça vers l'est par le Pacifique pour atteindre le Japon et les Samoa au cœur du Pacifique vers l'an 1000 après J.C. Elle fut probablement introduite en Afrique orientale vers 500 après J.C. et était solidement implantée en Afrique de l'Ouest vers 1400 après J.-C. Elle arriva finalement dans les Caraïbes et en Amerique latine peu après 1500 après J.-C. (Simmonds, 1962, 1966, 1976). A la fin du 11° siècle, la banane était présente dans toutes les zones tropicales. En Amérique du Sud, on la trouvait même en Bolivie, et elle était cultivée presque partout au Brésil. En Afrique, la culture de la banane s'étendait à l'est, du Sahara à la Tanzanie, et à l'ouest et au centre, de la Côte d'Ivoire au Zaïre en passant par le Congo.

TABLEAU 2.2 Plantes-racines mineures d'importance locale

Noms locaux
appellations
Espèces Origine probable Autres
Chayote Sechium edule Mexique Chinchayote,
Guisquil (espagnol)
Jicama Pachyrhyzus Mexique  
Yam bean Pachyrhyzus et
Sphenostylis stenocarpa
   
Arrow root Maranta arandinacea Polynésie Pana, Panapen
Arracachia Arracacia xanthorrhiza    
Oca Oxalis tuberosa    
Queensland
arrowroot
Cana edulis    
Topee Tambo Calathea allouia    
Ulluco Ullucus tuberosus   Mellocco, oca-quira
Yacon Polymnia sonchihlia    

Outre les principales plantes-racines examinées dans ce livre, il en existe d'autres dans différentes régions du monde, surtout dans la région andine, qui ont une importance locale. Le tableau 2.2 en énumère quelques-unes.


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